ENQUÊTE
SUR LES MAOS EN FRANCE
GERMAIN ET MARCEL
GERMAIN.
- Moi, j'ai
toujours été maoïste. Je ne suis pas un mao
de 68. Tu vois, je n'ai pas les cheveux longs.
MARCEL. - Pour toi, c'est différent.
Toi, tu pouvais déjà être jugé comme
maoïste à l'époque.
Tu as vécu
plus à fond que moi l'avancée de Mao en 45, 48.
Moi j'étais
jeune militant.
On ne nous parlait
pas de la Chine.
GERMAIN. - Nous, dans nos journaux,
dans nos réunions, on parlait de Mao.
Les victoires de
l'armée populaire chinoise, village par village, étaient
les victoires de la grande famille communiste.
On en causait tous
les jours.
Il y avait des communiqués
dans notre presse du P.C., aussi bien dans L'Huma que dans Liberté,
le journal du Nord et du Pas-de-Calais.
MARCEL. - Je ne suis pas aussi
affirmatif.
Pour Germain, qui
était dirigeant, Mao Tsé-toung, ça voulait
dire quelque chose.
Mais, dans nos réunions
de cellule, ça apparaissait beaucoup moins.
Je me souviens qu'on
avait parlé avec Germain puisqu'on militait dans la même
ville, mais je ne me souviens pas de trucs officiels.
GERMAIN. - II y avait Les Cahiers
du communisme où on parlait des contradictions ,de la
pensée de Mao.
Il y avait les textes
où Mao dit qu'avant d'être éducateur il faut
s'éduquer soi-même.
Enfin, c'était
ce qu'on pigeait à ce moment-là.
On en parlait. Bien
sûr, on ne se disait pas " maoïste " mais
tout ça faisait partie du fait d'être communiste,
et on puisait dans le P.C. chinois des formes de luttes et d'action
pour nous-mêmes, quitte à corriger notre travail
pratique.
Même Thorez
et Duclos n'oubliaient jamais de rappeler les victoires de la
Chine populaire.
Ils ne lisaient
peut-être pas beaucoup de textes mais ils parlaient de
Mao Tsé-toung.
MARCEL. - Pendant la grève
de 48, il y avait des réunions de masse avec 10 000, 15
000 mineurs où on annonçait : " Nos camarades
chinois poursuivent leur avance victorieuse. "
C'était compris
comme une victoire des prolos.
On voyait Mao comme
Staline.
GERMAIN. - Les maoïstes sont
staliniens, si ça veut dire qu'ils sont aussi durs dans
la lutte que Staline l'a été.
Surtout dans la
lutte clandestine avant la Révolution de 17.
Après, il
y a eu des erreurs que je ne veux pas juger.
Staline, c'est l'idée
de la guerre antifasciste et de l'Armée Rouge.
MARCEL. - Moi, je juge par les
Russes que j'ai connus dans la mine.
Ces gars-là
n'avaient rien à se mettre que leurs habits de travail,
par tous les temps.
Ils n'avaient même
pas de quoi manger.
On leur donnait
nos tartines.
Mais dès
qu'ils entendaient le mot Staline, leur cur battait.
On se disait : "
Ce Staline, qu'est-ce qu'il a dû leur faire, pour qu'ils
l'aiment comme ça. "
GERMAIN. - On voyait toujours la
ligne marxiste-léniniste communiste.
On ne voyait pas
le maoïsme.
Enfin, ça
ne s'appelait pas ainsi. Le nom est né en 68.
On a dit : les "
maoïstes ".
Comme on a dit :
les " staliniens ".
Il y a eu comme
ça des gens qui justifiaient leur position politique sur
la personne de Staline.
Nous, on ne se servait
pas de la personne de Mao.
On disait : "
On est des communistes tout simplement et on est liés
à la Chine. "
Au moment où
le P.C. a lâché la Chine, il a aussi lâché
la Tchécoslovaquie, la Yougoslavie, ça a été
à peu près quand le Kominform s'est dissous, et
le décalage avec la Chine populaire a marqué le
grand revirement aussi bien sur le plan international que sur
le plan intérieur.
Il y a eu le clan
russe et le clan de la Chine populaire mais nous, on n'a pas
changé notre ligne.
Lorsqu'on était
communistes en 47, on était maoïstes.
C'est eux maintenant
qui ne sont plus communistes.
C'est eux qui ont
trahi. Ils ont renié Staline, ils ont renié Mao.
Ils renient tout.
Aujourd'hui, ils
renient même leur politique de lutte de classes, c'est
encore plus grave.
Je ne me suis pas
détaché du P.C. du jour au lendemain.
n'y a eu des contradictions, des problèmes.
Après la
grève de 48, les syndicats devaient renouer des relations
avec la direction des Houillères.
Mais la direction
voulait bien recevoir tel ou tel représentant de l'organisation
syndicale, mais tel ou tel autre, elle n'en voulait pas.
Il fallait poser
des revendications et accepter des entrevues.
Les Houillères
voulaient faire le choix des délégués, et
les directions syndicales ont accepté.
NOUS, on n'était
pas d'accord.
Ce n'est pas au
patron à choisir le délégué.
Ça devenait
mou si les représentants n'étaient pas mandatés
par la classe ouvrière.
D'abandon en abandon,
des avantages acquis ont été perdus. Même
ce qui tenait le plus à cur aux ouvriers mineurs
: un avantage acquis depuis cent ans, depuis nos pères,
comme l'eau gratuite, on l'a perdu.
Maintenant les mineurs
payent l'eau alors qu'ils ne l'ont jamais payée.
Avant on retenait
quatre francs ou six francs par mois pour le logement, maintenant
on cause de loyer de cent quatre-vingts francs par mois.
Ce sont des faits
formidables.
De même, au
lieu de continuer à construire des maisons pour les mineurs,
on coupe celles qui existent en deux.
On met deux familles
ensemble.
On met le pensionné,
le silicose qui crache ses poumons sur la cour, et on met le
jeune ménage devant.
Laisser faire les
Houillères là-dessus, c'est plus que de la mollesse,
c'est l'abandon pur et simple de la lutte des classes.
Les comités
d'entreprises de groupes, de puits, n'ont plus fonctionné.
Il a fallu attendre Mai 68 pour que ça reprenne un peu.
MARCEL. - Par exemple après
la grève de 48, les meneurs ont été sabrés.
Même pour
la sécurité, l'ingénieur refusait de me
voir. Il refusait nos délégués pour la sécurité.
Les copains au lieu
de se battre et de dire : " Non, c'est eux qu'il faut voir
", ils préféraient se taire et garder leurs
strapontins.
Ils disaient : "
Tant pis, n'y va pas.
Faut quand même
quelqu'un pour discuter et si toi, ils te veulent pas, le mieux,
c'est que nous, on aille discuter. "
Comme ça
ils ont éliminé les plus durs.
GERMAIN. - Et 90
%, faut bien le reconnaître, c'était d'anciens résistants.
La direction des
Houillères, qui avait collaboré avec les Allemands,
réglait doublement ses comptes aux résistants,
à ceux du syndicat illégal qui s'était formé
dans l'illégalité.
En les rejetant,
les Houillères gardaient de nouveau les collaborateurs.
Il ne fallait pas
être pris en train de distribuer un tract.
C'était tout
le statut du mineur et de ses droits syndicaux qui était
saboté.
Les condamnations
pleuvaient pour rendre les délégués inéligibles.
En 1952 c'est arrivé
au point qu'un responsable m'a dit : " Tu comprends pas,
Germain, c'est plus le moment de frapper sur la table. "
Aujourd'hui, je
peux me retrouver avec cet individu-là, et je lui dirai
: " Voilà, voilà pourquoi...
Accepter l'ostracisme
envers les militants de la base, voilà où ça
conduit. "
La grève
de 48 est partie sur un mouvement bien précis : la fermeture
des puits, liée au Plan Marshall, au plan Schuman, au
Pool Charbon-Acier, et appliquée par lés décrets
Lacoste.
Ils ont donc continué
à fermer les puits non seulement pour le Nord et le Pas-de-Calais,
mais pour toute la France, comme on va fermer les usines sidérurgiques
et textiles à l'heure présente.
Et notre position
en 48 était juste. On ne comprend toujours pas que l'on
ne cause pas des vrais responsables de cette situation en France.
A ce moment-là,
c'était la social-démocratie, les socialistes Jules
Moch, Lacoste, Ramadier et compagnie qui nous arrachaient toutes
les commissions, comités, que l'on avait obtenus à
la Libération, et tout ça pour mieux appliquer
leur plan rétrograde.
C'est là
où l'on voit bien la coupure nette : pour reconstituer
une unité politique, le P.C. abandonne la plate-forme
de luttes et de combats contre la bourgeoisie, contre la réaction,
et même aujourd'hui, contre ce qui a un nouveau visage
encore plus virulent, contre l'impérialisme qui va se
servir du fascisme pour appliquer sa politique de régression
sociale en dégradant nos lois et nos libertés.
MARCEL. - Germain a été
éliminé tout doucement du P.C., et il est tombé
très malade en 50.
Moi, je suis toujours
resté au parti en menant des luttes à l'intérieur
des réunions de cellule, mais sans bagage.
Je ne pouvais rien
faire d'autre que de crier : " Je ne suis pas d'accord.
"
J'étais d'ailleurs
surnommé : " Pas d'accord. "
Ça devenait
même marrant.
Ils travaillaient
les autres copains en leur disant d'avance : " On te prévient,
Marcel sera pas d'accord. "
Je restais à
l'intérieur des réunions, mais ce n'étaient
pas des réunions où se posaient les problèmes
de lutte de classes.
J'ai tenu cinq mois
comme secrétaire de section, mais dès que j'ai
commencé à mordre un peu, ça a été
fini.
Je me souviens que
je n'avais même plus droit à la
parole en réunion de section.
Je ne pouvais même
pas poser de questions.
Pendant ces cinq
mois, c'était encore une belle période pour mener
des luttes. Il y avait eu l'affaire Henri Martin.
On s'était
battus d'une façon vraiment révolutionnaire. Vraiment
on se battait : il y avait des actions de milice déjà
à l'époque.
On faisait aussi
des bombages, des peinturlurages sur les Houillères, les
gendarmeries.
Des troupes de comédiens
étaient venues pour jouer des pièces de théâtre
sur le jugement d'Henri Martin.
Ces pièces
ont été interdites par les préfets, mais
nous, on en a profité pour faire une grande manifestation.
Comme il y avait
longtemps qu'on n'avait pas fait de manifestation, ça
a réveillé les gens.
Aux militants qui
n'étaient pas venus, je leur ai demandé pourquoi,
" Pourquoi tu te baladais ce jour-là? "
J'ai demandé
une réunion d'autocritique. C'était normal en tant
que secrétaire de section.
Mais en fait d'autocritique,
c'est moi qui ai été balancé, " Tu
es trop jeune ", on m'a dit.
Et on m'a redescendu.
Les gens étaient
éliminés doucement, comme ça, mais pas par
une discussion de lutte de classes, parce que le parti, en tout
cas dans le Nord, ne pouvait même plus se le permettre.
Un gars vraiment
vidé, c'était très rare, mais les gars écurés
qui se retiraient d'eux-mêmes, c'était fréquent.
A ce moment-là,
je me souviens, j'ai commencé à recevoir des feuilles
d'Unir, un groupe dissident qui savait que, par là, ça
n'allait pas.
Ils envoyaient des
lettres : " Tu n'es pas content du parti, alors écris-nous
", mais ça n'a pas duré parce que nous, on
avait écrit en se disant : " Tiens, il y a quelque
chose qui pointe ", mais, quand on leur demandait un rendez-vous,
ils répondaient : " Ah non, on ne peut pas se faire
connaître " et quand on leur demandait quelles actions
ils entreprenaient, ils ne répondaient pas.
Il a fallu attendre
68.
Je n'étais
plus mineur mais j'étais à nouveau délégué
dans une usine.
J'avais réussi
un coup de force.
Comme je n'arrivais
plus à trouver de travail dans le Nord, j'étais
parti à Paris et je m'étais fait embaucher chez
Panhard.
Puis une nouvelle
usine métallurgique s'est créée dans le
Nord.
On embauchait des
ouvriers triés sur le volet, mais comme j'avais mon certificat
de Paris, ils m'ont considéré comme un Parisien
et ils m'ont pris.
C'est comme ça
que je suis arrivé à entrer dans l'usine malgré
les enquêtes.
Parce que c'est
toujours pareil avec la social-démocratie, quand une industrie
se monte, encore maintenant, elle n'implante qu'un syndicat F.O.
Alors j'ai mené
une lutte et j'ai reformé un syndicat C.G.T. et ainsi,
je suis revenu à la surface.
Comme Béthune
est une ville bourgeoise où le parti n'existe pratiquement
pas, très vite, je me suis retrouvé à la
tête de Béthune jusqu'en 68.
Quand le mouvement
s'est emmené, je suis parti en pointe tout de suite :
" Allez, on occupe. Partout, on occupe. "
J'étais secrétaire
de l'Union locale mais tout de suite, ils ont parachuté
un gars, " Toi, tu restes dans ton usine. C'est le camarade
qui sera secrétaire de l'Union locale. "
Naturellement, je
n'aurais pas accepté les manifestations dans le calme
que le parti voulait.
Et puis les étudiants
sont venus.
Ce qu'on appelait
le mouvement de soutien aux luttes du peuple.
Comme je ne les
éjectais pas, ils ont dit : " Ça y est, il
est maoïste. "
C'est eux qui m'ont
baptisé de la sorte.
C'est dans le parti
qu'on m'a traité de mao et je ne savais même rien
du maoïsme.
GERMAIN. - Nous étions des
staliniens et nous en étions fiers. On le répétait.
On le répète
encore.
Ça veut dire
qu'on est encore des durs et que eux ce sont des révisionnistes.
Pour nous, Staline,
c'est celui de l'Armée Rouge.
Ils révisent
leurs principes marxistes-léninistes, nous on ne les révise
pas.
On fait la critique
et l'autocritique mais on ne révise pas.
Dans un texte d'un
congrès de l'Union soviétique, on avait lu : "
Que les bouches s'ouvrent. "
Fort de ça,
Marcel a écrit un rapport et l'a porté en main
propre à Maurice Thorez.
Comme ça,
il ne pouvait pas dire qu'il ne l'avait pas reçu.
MARCEL. - C'était en 1954-1955.
Il revenait d'U.R.S.S. malade, à moitié paralysé.
On m'a dit que je
ne pouvais pas le voir, et on était bien surveillés.
Mais à sa
première réunion, j'y suis allé. Je n'ai
jamais eu de réponse.
GERMAIN. - Nous, nous n'avons jamais
quitté le parti.
Nous sommes toujours
des communistes.
Nous ne sommes simplement
plus d'accord avec les hommes qui dirigent ici le parti.
Dès 1944,
dès la Libération, il y a eu beaucoup de communistes,
beaucoup de résistants, qui n'étaient plus d'accord
avec la ligne politique du P.C.
Lorsqu'on a dissous
les milices patriotiques, la veille, Jacques Duclos avait dit
qu'il fallait les garder parce qu'elles étaient les gardiennes
de nos libertés et la démocratie.
Nous, on se battait
pour l'application du Conseil national de la Résistance
et Thorez s'amenait pour dire le contraire.
Nous, on sortait
d'une lutte, on avait un programme, on voulait acquitter cette
facture de la lutte contre le fascisme et contre les collaborateurs,
et ceux qui se battaient pour ça, on les traitait de trotskystes.
On arrivait à
s'empoigner avec des dirigeants nationaux.
Ils remettaient
Jouhaux dans la C.G.T. à côté de Benoît
Frachon, quand on sait tout ce que Jouhaux, traître à
la classe ouvrière, avait fait comme alliance avec la
social-démocratie, nous, à la base, on ne pouvait
pas l'accepter.
On nous disait qu'on
ne comprenait pas.
Il y avait des heurts
violents.
On continuait à
se battre dans ce parti parce qu'il n'y en avait pas d'autre,
mais on sentait, dès 1944, que la coupure irait en s'aggravant.
On ne pouvait pas
se battre seuls dehors.
On se battait dedans
pour faire respecter la voie marxiste-léniniste, la vraie
voie communiste.
On éduquait,
on entraînait sur cette ligne-là nos camarades qui
étaient menés en bateau.
Je me souviens d'un
discours de Cachin en 1945, qui faisait les comptes des progrès
du communisme dans tous les pays et qui finit par la France :
" Ici, camarades, c'est l'affaire de quelques semaines,
et peut-être de quelques jours. "
Tout le monde s'embrassait.
Ça y était,
on allait avoir le pouvoir.
Et ils se sont contentés
d'une vice-présidence du Conseil pour Thorez, octroyée
par de Gaulle dans le gouvernement provisoire.
Les dirigeants du
parti se sont vus en collaboration avec les gouvernements de
la réaction, et ça leur a suffi.
Ça a été
la démarcation et l'abandon de la lutte de classes.
La coupure avec
les masses, avec la lutte du peuple, ça date de la libération,
du 28 octobre, date de la dissolution des milices patriotiques.
Il n'y a qu'à
reprendre le discours de Duclos sur le désarmement des
milices en 1944.
Il faut le photocopier
ce discours, lui remettre devant les yeux.
La veille, il était
un révolutionnaire.
Le lendemain, il
n'était plus rien.
Dans le Nord et
le Pas-de-Calais, il y a bien des endroits où Thorez,
Lecur et les autres n'ont plus pu remettre les pieds. Il
y aurait eu des grossièretés.
Moi, très
vite, je n'ai plus été éligible. Je n,'avais
pas le droit d'aller dans des réunions où il y
avait un patron.
J'ai eu cet honneur-là
: les patrons ne m'aimaient pas.
Après ma
maladie, eh bien, on s'est mis à lutter comme on pouvait.
On luttait à
deux avec Marcel.
On faisait des articles.
On préparait des affaires pas mal.
MARCEL. - Oui, à cette époque,
je travaillais dans le bâtiment, et quand il y a des intempéries,
dans cette branche-là, le boulot s'arrête.
Je me mettais alors
à faire des articles.
J'ai commencé
par aider le journaliste de Liberté qui était malade.
On m'acceptait,
on me repoussait, puis on finissait par prendre mon article.
J'avais appris par
exemple qu'un mineur avait été blessé.
Je fais mon enquête.
Le lendemain, j'écris
l'article : " Le martyre d'un mineur ", trois heures
à se traîner sans secours, et ci et ça.
Ça fait un
bruit terrible.
Les Houillères
sont en fureur.
J'écris plusieurs
articles comme ça.
Déjà
dans le style de La Cause du peuple, ce qui est normal puisqu'on
ne craignait pas la vérité, qu'on appelait un chat,
un chat.
Au début,
les camarades ont dit : " C'est bien ce que tu fais là.
"
Je signais mes articles
pour éviter qu'on coupe dedans.
Je les portais à
l'autobus parce que ma commune est à une cinquantaine
de kilomètres de Lille.
Tous les journalistes
faisaient la même chose.
On donnait les articles
avec un pourboire au chauffeur et ça arrivait ainsi à
Nord-Matin, le journal du parti socialiste, à La Voix
du Nord, le journal de droite, à La Croix du Nord, le
journal catholique, et à Liberté, l'organe du P.C.
Les autres journalistes
me sont vite tombés dessus, "Qu'est-ce que tu fais
comme articles? Tu nous les passes, nous on te passe les nôtres.
Tu vois, comme ça
on s'arrange. "
Ils s'arrangeaient
tellement bien que celui de La Voix du Nord disait à celui
de Nord-Matin : " N'attaque pas trop les Houillères
et moi, je mentionnerai telle réunion revendicative ",
etc.
Ils jouaient au
football de table tous ensemble, les rouges contre les blancs!
Ils se refilaient
leurs informations sans jamais aller voir sur place.
Moi, j'ai dit :
" Je ne marche pas dans vos combines. Je travaille pour
le journal du P.C. et c'est tout. "
Ils m'ont dit que
le journaliste de Liberté que je remplaçais ne
s'embarrassait pas comme moi de ce détail, que j'avais
bien tort.
Au bout de quelque
temps, après quelques articles assez virulents, le bruit
a couru que je voulais faire une carrière de journaliste
et prendre la place de mon camarade malade, et on m'a vidé.
GERMAIN. - C'était encore
une manière d'arrêter l'esprit de lutte parce qu'on
avait dévoilé pas mal de petits scandales, mis
les pieds là où il ne fallait pas. On ne devait
pas faire de mal aux Houillères.
Par exemple, l'histoire
des désherbants, on a été les premiers à
en parler.
On a fait un drame
avec ça en expliquant comme c'était toxique, comment
les pigeons mouraient avec ces produits, et pourquoi les ingénieurs
refusaient de s'en servir.
La mauvaise herbe
mourait, mais un enfant qui laissait tomber son bonbon dans le
produit par terre pouvait s'intoxiquer et les pigeons aussi.
Dans les mines,
les pigeons, c'est sacré.
On avait vraiment
touché une corde sensible.
Toutes les sociétés
colombophiles partent en guerre contre l'usine qui fabriquait
ces produits-là : Carbolux qui dépendait des Houillères.
On aurait pu à
ce moment-là monter des milices rien qu'avec les colombophiles!!!
MARCEL. - Les contradictions à
l'intérieur du P.C., pour les militants de base, existent
toujours.
A l'heure actuelle,
je les entends parler de l'alliance avec le parti socialiste.
Ça, c'est
un truc dont on s'est toujours méfiés.
Les gars disent
: " Tant pis, mais ce coup-ci pour les élections
de 72, j'irai pas. "
En fait, ils iront
peut-être mais, de plus en plus, ils se démarquent.
Et un gars qui élève
la voix dans une réunion, aussitôt il est le maoïste.
Attention.
GERMAIN. - Parfois, il y a confusion.
Après l'élection
présidentielle je rencontre un vieux camarade, un ancien
responsable d'organisation syndicale, instruit politiquement,
qui me dit : " T'as vu Germain, ce Krivine. Ça, c'est
notre parti communiste d'avant. "
Et il y a eu effectivement
une cinquantaine de voix pour Krivine chez nous.
Pas des voix d'anarchos,
des voix de vrais communistes.
Pourtant, entre
gauchistes et maoïstes, il y a une sacrée différence
et Krivine, c'est un anarcho qui n'a pas de ligne politique.
Le copain ne connaissait
pas la ligne d'orientation maoïste.
Il y a un travail
sérieux à faire.
PATRICK (le jeune
de Renault).
- II faut comprendre que dans les usines, il n'y a pas encore
tellement de différence entre trotskyste ou maoïste.
En fait, pour les
gars, tout ça, c'est gauchiste.
MARCEL. - Même le P.S.U. apparaît
comme gauchiste et les gars préfèrent encore voter
P.C. que P.S.U.
Notre travail d'action
maoïste ouvre la voie, mais il ne faut pas se tromper, il
y a des actions positives, celles qui correspondent profondément
à la volonté des masses, et des actions dangereuses,
celles qui sont parachutées sans explication et qui apparaissent
comme gratuites, désordonnées, gauchistes, quoi!
PATRICK. - Quand on est maoïste
dans une usine, on est -pris pour responsable de tout ce qui
se passe à la porte, même si c'est n'importe quel
groupe qui vient et qui fait n'importe quoi.
On me dit : "
Tes copains ont distribué un tract ", même
si ce sont des tracts trotskystes.
Tout ce qui est
en dehors du P.C. c'est gauchiste.
MARCEL. - Ça c'est un problême
actuel du maoïsme eu France.
GERMAIN. - Tant qu'on n'aura pas
fait le travail nécessaire d'explication, il y aura méfiance.
Il faut multiplier
les contacts, discuter, éduquer : faire passer l'esprit
maoïste.
Il n'y a pas de
réticence au maoïsme.
Au contraire, tous
les vrais communistes sont maoïstes, mais ils ne le savent
pas encore.
Il y a seulement
un manque d'information.
MARCEL. - Par exemple, à
la fosse 6, on a travaillé avec un Secours Rouge, maoïste.
On a fait du bon
travail mais quand les gars voient arriver les lycéens,
ils disent : " Ben, si c'est ça l'organisation révolutionnaire,
on va encore attendre. "
Ils ne voient pas
encore se dessiner l'organisation maoïste, ils ne voient
pas qu'il y a du monde derrière, ils ne voient qu'un groupe
de sept, huit lycéens avec un professeur. Ils sont d'accord
avec le groupe mais ils le croient isolé.
PATRICK. - Ils se méfient
de l'image maoïste, étudiante.
GERMAIN. - L'autre jour, j'ai vu
une femme entendre pour la première fois Le Chant des
partisans.
Sa réaction
a été une profession de foi, elle a dit : "
Mais ces maos ce sont les communistes d'avant. "
Si un travail avait
été fait en profondeur, cette femme qui a eu cette
réaction-là, elle serait tout de suite maoïste.
Vu qu'elle l'est
déjà, sans confusion, sans retrait.
Elle a compris naturellement,
simplement, sur une chanson.
Le mouvement des
maos dans les puits maintenant commence à créer
la confiance.
Quand un mineur
a des ennuis avec un porion, il dit : " Fais gaffe, il y
a des maos dans le coin, ils vont t'arranger ", et le porion
s'écrase.
Les mineurs résistent
aux porions, et
c'est le début.
La révolte
contre les agents de maîtrise va se consolider.
On va étudier
d'autres formes de lutte pour aller plus loin, pour s'élargir,
pour devenir une force- On n'explose pas d'un seul coup.
MARCEL. - Il faut aussi corriger
nos erreurs. Par exemple l'apport des forces démocratiques
n'a pas été suffisamment expliqué.
Nous avons des médecins
du Secours Rouge qui viennent dans les mines.
Ils viennent pour
aider les gens à se faire reconnaître comme silicoses.
Et les gars voient
là-dedans une aide pour leurs revendications.
Ils ne voient pas
que les démocrates qui se joignent au peuple le font dans
un esprit révolutionnaire, qu'il s'agit de bien autre
chose qu'une revendication.
Si on est sur une
ligne revendicative, on est battus d'avance.
Pour ceux qui veulent
se battre, les ce comités de silicoses ", ça
ne voulait rien dire, ça ne suffisait pas.
Il faut que les
mineurs sentent qu'il y a le Secours Rouge mais qu'il y a, à
côté, une organisation qui n'est pas encore un parti
mais où on milite comme dans un parti.
S'ils voient réellement
que ça existe, c'est gagné, ils ne pourront pas
adhérer à autre chose.
Créer des
comités de lutte et des milices, les gens ne demandent
que ça.
Si on leur dit :
" On va faire telle action, démolir tel maître
porion ", ils disent ce d'accord " mais ils demandent
des garanties, " On est d'accord mais l'organisation que
tu nous présentes ne donne pas les garanties. Faut en
connaître un peu plus. "
GERMAIN. - On fait des erreurs.
Par exemple, on
fait un tract adressé aux agents de maîtrise, les
porions, les maîtres porions, en leur enjoignant de choisir
leur camp.
Qu'ils déclarent
s'ils sont du camp du peuple ou du camp de la réaction.
Quinze jours plus
tard, dans Liberté ceux du P.C. écrivent : "Les
gauchistes ont distribué un tract où ils veulent
casser la gueule à tous les porions. " J
ustement, on n'a
pas du tout dit ça.
On devrait l'expliquer.
Au lieu de ça,
on n'a pas répondu. Fallait refaire un autre tract avec
l'ancien texte et l'article de Liberté côte à
côte pour que les masses jugent elles-mêmes.
MARCEL. - On enregistre aussi des
succès.
L'autre jour, un
mineur va voir son délégué pour lui parler
de son problème de silicose.
Le délégué
lui a répondu : " Va donc voir au Secours Rouge.
Ils sont plus forts
que nous. " Le délégué lui-même!
GERMAIN. - Dans Liberté on
n'attaque pas le Secours Rouge, ni les maos.
On n'oserait pas.
On attaque les gauchistes.
Mais nous, nous
ne sommes pas des gauchistes, nous ne sommes pas des aventuristes,
nous sommes des maoïstes.
Il faut faire disparaître
la confusion.
Les gauchistes,
ce sont des groupuscules nés de 68, tandis que Mao, il
y a longtemps qu'il existe.
Il a soixante-dix-huit
ans passés.
Ce n'est pas un
aventuriste.
Nous avons une ligne
politique sur laquelle nous appuyer, une doctrine pour laquelle
nous battre, tandis qu'eux, ils n'ont rien.
Faut aussi répondre
aux groupuscules et même parfois avec méchanceté
parce qu'ils induisent tout le monde en erreur.
Notre position est
forte et belle et nous avons la Chine à faire connaître.
MARCEL. - Les premières
contradictions du P.C.F. avec la Chine, je m'en souviens bien.
Je vivais à
Paris; c'était au moment de l'O.A.S.
Ça plastiquait
partout. J'habitais aux Champs-Elysées.
On était
douze dans une pièce. J'appartenais donc à une
belle cellule, la cellule des Champs-Elysées et là,
il y avait un ingénieur, responsable de France-Chine.
Un soir, il me dit
: " On fête l'anniversaire de la Révolution
chinoise, salle Pleyel.
Ce serait bien si
tu venais avec des camarades prolos. "
II était
content d'avoir un prolo dans sa cellule, celui-là.
Il me donne des
invitations et j'y vais avec une quinzaine de copains.
Le lendemain, j'ouvre
L'Huma et je ne vois rien. Aucune mention de la soirée.
La semaine d'après,
je revois l'ingénieur et je lui demande ce que ça
veut dire, pourquoi France-Chine célèbre la Révolution
chinoise et pourquoi L'Huma n'en parle même pas.
Il me répond
: " Ben, il y a des contradictions. "
Je demande lesquelles.
Il ne m'a pas répondu.
J'ai encore demandé
en réunion de cellule.
Jamais, on ne m'a
donné de réponse.
GERMAIN. - La contradiction, c'était
peut-être qu'il y ait quinze prolos dans la salle!
MARCEL. - Le P.C.F. n'a jamais essayé
de donner une explication claire sur les divergences entre l'U.R.S.S.
et la Chine.
On nous cachait
tout. On laissait les gens dans l'ignorance.
Moi, j'avais envie
de savoir. J'étais intrigué sur la Chine, mais
ma deuxième approche de Mao, ça a été
seulement en 68.
J'étais depuis
1966 dans cette usine où j'étais entré comme
un type qui se cache mais où, au bout d'un an de présence,
je pouvais me présenter comme délégué
et j'ai voulu constituer une liste pour former un syndicat C.G.T.
C'était assez
difficile de trouver des gens parce qu'ils avaient été
triés au départ parmi les moins combatifs.
Et puis, j'ai découvert,
dans un autre secteur, un gars qui essayait aussi de faire une
liste comme moi.
On s'est mis ensemble
et on a présenté notre liste en employant des méthodes
qui ne se pratiquaient pas : c'est-à-dire que l'on a attendu
le dernier moment pour ne pas être virés.
Je me suis présenté
au bureau du personnel à la dernière minute.
Ça a fait
un drame, " Quoi, un syndicat C.G.T. ici! "
Ils n'en revenaient
pas les directeurs, et ils ont refusé ma liste en disant
qu'elle n'était pas représentative.
On ne s'en est pas
tenus là.
On a distribué
des bulletins de vote à l'entrée en expliquant
aux gars pourquoi on n'avait pas été acceptés.
Pendant vingt-quatre heures, j'ai distribué et expliqué,
quitte à perdre ma journée.
Et il y a eu quand
même cent gars qui ont voté pour notre liste.
Au dépouillement,
le gars de la C.F.D.T. a tenu à marquer les cent bulletins
blancs.
Ils étaient
considérés comme blancs, vu qu'on était
irréguliers.
Mais le juge a été
obligé de reconnaître qu'on était représentatifs,
et il y a eu un nouveau vote.
Là, je vivais
dans l'euphorie.
Il y avait une liste
d'unité F.O. avec le patron et nous avions cassé
cette belle unité-là.
Cette victoire après
une lutte avait soudé les gars.
Suffisait d'un mot
d'ordre ce On y va ", pour que ça y aille, comme
en milice.
Donc, avant 68,
en novembre ou décembre, on déclenche un mouvement
de grève.
On est même
venus à Paris et on a envahi les bureaux.
On voulait faire
une manifestation.
On s'était
mis, pour la préparer, dans la salle des délégués,
et le patron vient nous prévenir que les R.G. nous demandent.
Il dit : "
Faut vous arranger avec les R.G., ils veulent savoir quel chemin
vous prendrez, où vous irez, etc. " Je dis : "
On n'a rien à foutre avec les R.G. On passera où
on voudra. "
La C.F.D.T. se joint
à nous, mais F.O., que l'on avait réussi à
entraîner dans la grève, va discuter avec les R.G.
et revient nous dire : " Faut faire ce que veulent les R.G.
parce qu'ils ont appris que des étudiants viendront à
la manifestation. "
Les R.G. ajoutaient
que les étudiants venaient pour briser notre mouvement,
etc.
Déjà,
la propagande. En fait, c'était le mouvement du soutien
aux luttes du peuple, l'U.J.C.M.L. : bien avant le 22 mars 1968.
Et la première
personne que j'ai vue, eh bien, c'est ce gars là-bas dans
le jardin.
Mais je ne l'ai
pas vu le jour de la manifestation.
Ce jour-là,
les R.G. avaient de mauvais renseignements, on n'a pas vu un
seul étudiant.
Je les ai vus un
peu plus tard, à la Bourse du Travail. Ils m'ont demandé
si on pouvait discuter et, tout de suite, j'ai accepté
la discussion.
Ainsi, j'ai commencé
à les connaître, quand le mouvement a démarré
en 68, à Saint-Nazaire, on s'est dit, avec lès
copains de C.F.D.T., que nous aussi, ce que l'on avait de mieux
à faire, c'était d'occuper l'usine.
On l'a fait de façon
vraiment dure.
On est partis à
cinquante pour s'opposer aux licenciements qui devaient justement
avoir lieu.
Quand les copains
du mouvement de soutien aux luttes du peuple se sont amenés
avec leurs banderoles, leurs pancartes, on les a lues, on a vu
qu'elles correspondaient bien aux idées des travailleurs
et on les a mises sur les murs.
Aussitôt le
secrétaire de l'Union départementale arrive et
gueule : " Ça ne va pas du tout. "
Je demande pourquoi.
Il me dit : ce Ce
sont des pancartes des étudiants. "
Je dis : "
Et alors, ce qui est écrit dessus, c'est vrai ou c'est
pas vrai? "
II n'a pas poussé
plus loin et ainsi, avant même que les mineurs commencent
la grève, on avait fait débrayer tout Béthune.
A ce moment-là,
un copain étudiant m'a demandé si je voulais venir
à une réunion à Paris.
C'était une
réunion de l'U.J.C.M.L. dans une faculté.
Je ne l'ai appris
que plus tard.
J'ai eu peur en
arrivant parce qu'il y avait des portes en vitres qui s'ouvraient
toutes seules dès qu'on s'approchait, et je n'avais jamais
vu un truc pareil.
Pendant le trajet,
j'avais commencé à questionner : " C'est bien
ce mouvement de soutien aux luttes du peuple, mais je pense que
ce n'est pas tout, va falloir m'expliquer. "
Et c'est là
qu'ils m'ont dit qu'ils étaient maoïstes, ce qu'était
la Révolution culturelle, etc.
Jusque-là
je croyais que la Révolution culturelle c'était
la destruction de la religion.
Pour moi, en Chine,
on avait mis les bouddhas en l'air, c'était ça
la Révolution culturelle.
Quand ils m'ont
expliqué, vraiment ça m'a transformé.
GERMAIN. - Beaucoup de camarades,
ça leur a passé sous
le nez, la Révolution culturelle, tandis que moi, je la
voyais bien comme une consolidation de la dictature du prolétariat.
MARCEL. -- Quand je voyais Germain,
on ne parlait pas de la Chine.
On avait bien assez
à parler de ce qu'on menait comme lutte à l'usine.
On parlait du jour
le jour.
Après 68,
je lui ai porté le journal et on a commencé à
discuter du maoïsme, à vraiment se lier aux étudiants.
La première
action a été la grève à Faulquemont.
Maintenant je suis
considéré comme un mao.
Quand je discute,
je me retrouve sur les mêmes positions que mes anciens
camarades mais je ne les changerai que si on mène des
luttes ensemble.
Il faut gagner la
confiance.
GERMAIN. - On distribuait La Cause
du peuple.
En avril-mai 1970,
La Cause du peuple a été interdite mais quand j'ai
vu que les camarades arrivaient à sortir quand même
le journal dans la clandestinité, alors je me suis dit
qu'on pouvait leur faire confiance, qu'ils étaient des
révolutionnaires et qu'ils avaient compris leur travail.
C'était une
preuve de maturité de pouvoir lutter contre la répression
dans la clandestinité, d'autant que c'est plus difficile
d'être clandestin quand le régime a des apparences
de semi-liberté comme en ce moment.
MARCEL. - Un grand pas a été
fait aussi avec la préparation du tribunal populaire de
Lens, dans l'hiver 70. Ça a permis de discuter avec les
familles parce qu'on ne peut pas arriver et dire tout de go :
" Eh bien, voilà, je suis maoïste. " Ça
fait trop de surprise.
Pour entrer en contact,
la meilleure des choses, c'est le journal.
Aussitôt que
tu donnes le journal à un gars, il dit : " C'est
trop dur. "
Alors, il faut lui
montrer que ce n'est pas dur.
Ça engage
immédiatement la discussion, et là tu te déclares
mais pas pour savoir qui est mao et qui ne l'est pas.
Ça, ce n'est
pas intéressant.
GERMAIN. - La question du nom, on
s'en fout.
J'avais un ami qui
a été fusillé pendant la Résistance
et j'écoute toujours ce qu'il m'avait dit : " Germain,
si un jour le P.C. dévie de sa ligne révolutionnaire
et qu'un autre parti se forme à côté, avec
la ligne de notre ancien parti, faut aller au nouveau parti.
"
C'est ça
la fidélité.
Si des camarades
nous crient qu'on est des maos comme si c'était une infamie,
s'ils crachent sur notre figure, ils viendront un jour ou l'autre
passer leur langue pour l'essuyer.
Ça ne durera
qu'un temps parce que les militants à la base et même
les délégués, de plus en plus, s'opposent
aux diri-séants.
Ce qui nous fait
du tort, c'est le gauchisme.
MARCEL. - Les actions de partisans
ne sont pas toutes bonnes non plus.
Quand deux gars
s'implantent dans un puits, qu'ils coupent un tapis, mettent
du sable dans un wagon, font dérailler, etc., pour rien,
comme ça, juste pour faire une action, c'est très
mauvais.
Ce n'est pas compris
s'il n'y a pas d'explication, pas de raison.
Si c'est pour venger
un mineur tué, pour s'opposer aux licenciements, pour
s'attaquer à un chef, alors c'est bon.
Une action pour
s'opposer à la fermeture d'un puits, c'est une action
juste.
C'est la justice
populaire, c'est toujours bien compris.
Cette année,
pour le 1er mai, ce sont les mineurs eux-mêmes qui ont
été planter le drapeau rouge au haut du terril
de la fosse 6.
PATRICK. - Oui mais à Bruay,
c'est des mecs comme vous, les maos.
On ne peut pas vous
traiter d'irresponsables, vous attaquer sur votre honorabilité.
Les syndicats ne
peuvent pas dire de Germain ou de toi que vous êtes de
jeunes fous.
Tandis que moi,
ils me traitent de con.
Ils disent que je
n'y connais rien à la lutte des classes, que lorsqu'ils
étaient jeunes, ils avaient aussi mes idées, etc.
Ils ne peuvent pas
vous traiter de gauchistes, alors comment font-ils pour vous
attaquer?
GERMAIN. - Ça, c'est vrai,
ils ne peuvent pas.
On a un trop lourd
passé de militant.
Avec nous, ils discutent.
Par-derrière,
ils nous sabrent tant qu'ils peuvent. Ils nous calomnient.
MARCEL. - Ils disent que c'est
Germain qui a fait mettre tous les mineurs à la porte
après la grève de 48; que si Germain n'avait pas
été si dur, les mineurs n'auraient pas été
licenciés, que maintenant, s'il revient, c'est pour faire
le même truc.
L'aspect combatif
à tout casser de Germain en 48, de moi-même en 68,
ils le mettent en avant comme un épouvantail.
GERMAIN. - C'est un truc qui peut
leur servir mais pas beaucoup : les camarades savent que ce sont
des carriéristes qui leur racontent ces salades.
MARCEL. - L'autre jour, il y avait
la grève à la fosse 6. Les gars du Secours Rouge
viennent avec des tracts. Les militants C.G.T. se sont mis à
les distribuer. Arrive le responsable qui hurle : " Qui
a donné ces tracts? " Je m'avance : " C'est
moi. "
Le gars, je le connais
très bien. Il est resté tout déconfit.
Il y a une autre
chose qui m'aide et qui a été donnée par
l'importance du tribunal populaire que le maoïsme seul a
pu faire parce mie c'est conforme à sa ligne.
C'est important
de montrer et de voir comment on peut travailler avec nos amis
démocrates.
Un Jean-Paul Sartre
qui vient coucher dans les mines avant de faire son réquisitoire,
on n'y croyait pas.
Et dans son réquisitoire,
ça c'est senti qu'il avait dormi dans un coron.
Ça a été
une surprise pour les mineurs. Ils ne pensaient même pas
que ça pouvait exister. Ça a eu beaucoup d'échos.
On commence à
penser que le Secours Rouge est vraiment une union, que les intellectuels
peuvent effectivement se mettre au service des travailleurs.
Il n'y a que les
intellectuels pour ne pas comprendre à quel point c'est
ressenti profondément.
Que des ingénieurs,
que des médecins viennent, au début, vraiment,
les mineurs n'arrivaient pas à le croire.
C'est la meilleure
explication du maoïsme que nous pouvons donner, la preuve
qu'intellectuels et travailleurs peuvent s'unir au service du
peuple.
C'est bien simple,
le premier camarade étudiant qu'on a connu, il a fallu
qu'il soit arrêté et qu'on lise sur le journal qu'il
était ingénieur, pour qu'on le sache.
Il n'osait pas nous
le dire.
Et nous on était
vexés qu'il ne nous ait pas fait confiance.
Il était
gêné d'être ingénieur alors que nous
autres, on ne se pose pas de problème.
Un gars qui se met
à côté de nous, on ne va pas aller regarder
dans son passé, ou bien s'il a un nom qui commence par
" de ".
Il subit la répression
comme nous.
C'est tout ce qu'on
voit, et la répression, actuellement, augmente la combativité.
La répression
a pesé sur les mineurs après 48, et les a empêchés
de bouger.
Maintenant, c'est
de nouveau un bon moment pour la lutte parce que les travailleurs
ne se sentent plus isolés.
C'est pour ça
que les intellectuels, c'est important : ça donne une
autre image.
GERMAIN. - Pour les délégués
mineurs qui ont des dizaines d'années de mine derrière
eux, même si un puits ferme, ils ne vont pas lutter, casser
leur carrière pour ça, c'est foutu.
Ils sont acquis
au camp de la bourgeoisie.
L'esprit bourgeois
existe partout mais on ne peut pas dire que les travailleurs
n'ont pas une position de classe.
Un ouvrier mineur
qui fait des économies, des sacrifices, et qui s'achète
une voiture, on dit : " Celui-là, c'est un bourgeois;
il s'embourgeoise. "
Ce n'est pas vrai.
Un homme qui mange
la moitié d'une banane un jour, pour avoir l'autre moitié
le lendemain, il ne peut pas avoir l'esprit bourgeois.
PATRICK. - C'est vrai qu'il y a deux
parties dans la tête. Une partie bourgeoise et une partie
prolétarienne, mais ce n'est pas sur la question des bagnoles
ou des machines à laver que ça se départage.
C'est sur la question
de : " Comment tu vis? "
Tu peux avoir une
bagnole de sport et aller frimer le soir, mais si tu es obligé
de subir l'esclavage toute la journée, qu'est-ce que ça
veut dire?
Tu es un esclave
à la machine, tu as le chef au-dessus, et ça, tu
ne peux pas l'accepter.
Même avec
2 500 francs par mois, tu ne l'acceptes pas.
GERMAIN. - Huit heures par jour comme
ça, tu ne peux pas avoir l'esprit bourgeois.
C'est le bla-bla
de la réaction.
MARCEL. - La classe ouvrière,
elle reçoit les produits de consommation qu'on lui fait
avaler.
Moi aussi, quand
je marche à pied ou à mobylette, je me dis: "
Si j'avais une auto, j'irais plus vite. "
Ce n'est pas l'esprit
bourgeois ça.
Bon, il y a une
modernisation qui permet d'avoir une voiture mais en même
temps qui change tout par rapport à, mettons une vingtaine
d'années.
Je prends moi-même
il y a vingt ans : j'aimais mon métier de mineur.
Après une
nuit au fond de la mine j'étais un homme.
Maintenant, on n'aime
plus son métier.
Aucun mineur, aucun
ouvrier avec la modernisation poussée n'aime plus son
métier. Même avec 5 000 francs par mois et une résidence
secondaire, les ouvriers n'aiment plus leur métier.
GERMAIN. - Ce que le mineur aimait
bien, c'était l'ambiance familiale.
Souvent, le père
était chef d'équipe; il y avait les fils, les neveux,
les cousins.
Maintenant, le père
n'a qu'un souhait, c'est que son fils ne travaille plus à
la mine.
PATRICK. - Le copain de Batignolles
expliquait bien l'autre jour comment les gars, avant, aimaient
leur travail.
Ils faisaient des
pièces uniques, ils sentaient une aristocratie ouvrière,
ils avaient l'amour professionnel.
Maintenant, ça
n'existe plus : les gars en ont marre, ils font n'importe quoi
: ça va pas, tant pis.
MARCEL. -Le travail maoïste
est d'expliquer qu'en Chine les cadences infernales n'existent
pas.
Qu'au contraire,
on peut être ouvrier et aimer encore son métier.
Le stakhanovisme
a été la première plaie creusée en
U.R.S.S. dans le communisme.
Dans les mines,
même les Allemands n'avaient pas réussi à
nous mettre au stakhanovisme.
Eh bien, maintenant
ça y est, c'est la lutte à mort pour la productivité,
le système Bedot, du nom de l'ingénieur belge qui
s'est occupé du rendement dans les mines.
Quand on raconte
aux gars ce qui s'est passé pendant la Révolution
culturelle, comment Liu Shao-chi, qui voulait la productivité,
a été balayé, parce que c'est la ligne de
droite de vouloir la productivité au détriment
des hommes, ici, les gars, ils n'en reviennent pas.
Ils disent : ce
C'est pas possible. " Pourtant ce qui vaut pour la Chine
vaut bien aussi pour nous.
Peu importe de produire
moins, il faut penser à l'homme d'abord.
L'ouvrier en France,
chacun sait qu'au travail, il est comme une bête.
PATRICK. - Les gars ne pensent plus
qu'à se faire donner des certificats de maladie. J
'en connais un qui
prend régulièrement ses deux jours tous les quinze
jours avec l'aide d'un médecin de famille.
C'est un vieux,
il sait qu'on ne peut pas le foutre à la porte, il en
profite.
Tous les mecs essayent
de se tirer le plus possible.
GERMAIN. - C'est l'esprit d'égoïsme.
MARCEL. - C'est pour ça
qu'une révolution culturelle apportera un bien considérable
mais il faut le faire comprendre et ce n'est pas du jour au lendemain.
Les ouvriers, si on leur dit : ce La lune est belle ", ils
le savent bien.
Ce qu'il faut leur
montrer, c'est comment nous, on peut changer, ce que nous, on
peut faire changer : que ce soit faire baisser les loyers, ou
briser les cadences.
Si on mène
une lutte pour les cadences, c'est mieux que de dire : "
En Chine ceci... " ou : " En Chine cela... "
La Chine peut servir
d'exemple, c'est tout.
Mais ce n'est rien,
si on ne fait pas passer la théorie dans la pratique :
la lutte, ici.
GERMAIN. - Faut en causer quand même
de la Chine.
MARCEL. - Maintenant, on est arrivés
au moment où on peut en causer. Mais, quand on a fait
quelque chose.
PATRICK. - Par exemple, on fout de
la peinture sur un chef que les masses ont désigné
comme le plus salaud. Bon, par là, on casse l'autorité
des chefs.
Après, on
peut parler d'un pays où on travaillerait sans chef.
Les gars disent
: " Des chefs, il en faudra toujours. "
On discute.
On fait apparaître
immédiatement la lutte des classes.
Il y a ceux qui
comprennent d'emblée qu'on peut se passer des chefs et
ceux qui répètent : " C'est pas possible.
C'est pas possible. "
Alors, là,
on peut expliquer ce qui se passe en Chine, les comités
d'ouvriers, etc.
MARCEL. - J'ai déjà
rallié pas mal de mecs en discutant. Je discute une heure
avec quelqu'un, je lui dis : " Fais donc tes recherches
", et je sais qu'il va chercher.
Mais l'explication
de masse, pour transformer la réalité, elle ne
peut se faire que dans l'action.
GERMAIN. - Quand ils ont compris,
un autre problème apparaît. Les gars voudraient
bien savoir à qui s'adresser, avoir une carte, s'enrégimenter.
PATRICK. - C'est la question de
l'organisation; comment s'organiser avec les autres copains,
avec les autres boîtes, c'est toujours l'idée :
il faut s'organiser.
En fait, l'organisation
aussi ne peut naître que dans la lutte.
Le comité
de luttes Renault, il n'est pas né en faisant des cours
ou des conférences.
C'est un processus
complexe.
D'abord, on veut
quelque chose en dehors du syndicat parce que le syndicat, on
sait que c'est de la merde.
Il faut un endroit
où on peut s'exprimer, une démocratie.
L'idée de
démocratie est vachement forte dans les usines.
La lutte ensemble,
ça concrétise tout ça, et l'étape
est franchie pour l'organisation.
MARCEL. - II faut sentir les étapes
et ne pas être con.
Dans mon village,
par exemple, il y a ceux qui votent et ceux qui ne votent pas,
on le sait.
Aux élections
de députés, je n'ai pas été voter.
Je ne me suis pas
caché.
J'ai donné
mes raisons.
Seulement, aux élections
municipales, j'ai voté.
Les flics étaient
venus tourner autour de moi mais le premier fonctionnaire de
la commune, qui est considéré comme un flic et
qui a les renseignements, il m'avait quand même prévenu.
Et les ouvriers
qui sont au conseil municipal m'avaient dit : "T'en fais
pas, s'il t'arrive quelque chose, on sera là. "
Dans ces conditions,
tant pis, c'est plus juste de voter, sinon je me coupe et je
commets une grave bêtise.
Ils m'avaient d'ailleurs
prévenu : " Si tu ne votes pas, il ne faudra plus
compter sur nous. "
Je n'ai pas eu de
mal à choisir ma liste. Il n'y en avait qu'une.
Mais j'ai quand
même rayé le gros premier qui était sur la
liste.
Il l'a su.
Il ne m'en a même
pas voulu. Il a dit : " C'est normal, il est de gauche.
"
27 août
1971.
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