ENQUÊTE
SUR LES MAOS EN FRANCE
MOKHTAR
MOKHTAR. - J'ai toujours vécu
dans un village ouvrier. Au Maroc oriental il y a des villages
miniers.
Mon père
est mineur depuis l'âge de quatorze ans, dans les mines
de plomb.
Il a travaillé
jusqu'à sa retraite, enfin pas sa retraite, une maladie
: il a perdu la vue.
Moi, j'allais à
l'école et j'ai réussi à avoir mon certificat
d'études primaires, mais dans le village où j'étais
il n'y avait pas de cours secondaire, fallait que j'aille dans
la grande ville et ça demandait beaucoup d'argent.
Je fais partie d'une
nombreuse famille où on est treize enfants parce qu'il
y a eu deux morts, on était quinze.
Je suis l'aîné
de la famille. II y avait des problèmes avec mon père
parce que je suis descendu à la ville, mais je faisais
l'école buissonnière.
A l'école
secondaire, je me sentais un peu... tous les copains avaient
plus ou moins de l'argent... ils parlaient de cinéma,
ils parlaient de tas de trucs.
Moi je me sentais
gêné, j'avais pas du tout de fric, j'étais
pas très bien habillé.
Et puis, vu la façon
dont j'allais à l'école avant, enfin à l'école
primaire, j'apprenais jamais mes leçons, c'est-à-dire,
non, j'apprenais mes leçons mais c'était pas en
revenant chez moi: tout mon cartable, mes cahiers et tout, je
les laissais à l'école.
En sortant de l'école,
j'oublie l'école, mais j'étais bien vu par les
instituteurs parce que j'avais de la mémoire.
J'avais toujours
des bonnes notes mais c'était pas en étudiant chez
moi. En sixième il y avait des tas de trucs à apprendre.
Moi, j'avais jamais
fait ça et c'était pratiqueitient impossible chez
moi : on était nombreux et je ne pouvais pas me mettre
dans un coin pour apprendre quoi que ce soit.
Mais c'est pas surtout
ça. Je me rappelle d'une chose : j'étais en classe
et je pensais (j'étais jeune, j'avais onze ans, je crois),
bon, j'ai pas de fric, il faut que je vole un peu de fric à
mon père.
Un peu de fric ça
veut dire un franc ou deux francs. A
lors le matin en
me réveillant pour aller à l'école, je fouille
dans les poches de la veste de mon père, mais je trouve
vingt centimes et c'est tout. J
'ai dit : "
Ça y est, voilà, mon père il est pauvre,
il a pas d'argent "; ça m'a vachement choqué.
En étant
à l'école, j'ai beaucoup réfléchi
à ça. J
'arrivais pas ce
jour-là à suivre les cours, et celui qui nous faisait
les cours, tout d'un coup, il me pose une question sur la leçon
qu'il faisait.
Je me lève,
je ne savais pas ce qu'il disait, alors je n'ai pas pu répondre,
et devant tous les copains de l'école il commence à
me dire : " Voilà, si tu veux dormir, tu n'as qu'à
rester chez toi, ici on vient pour étudier. "
Alors tous les gars
se foutaient plus ou moins de ma gueule.
Depuis ce jour-là,
j'ai pas osé retourner à l'école. Mon père
m'a dit : " Bon tu vas travailler. "
Parce que mon père
est ancien dans la mine, ils ont accepté de m'embaucher
malgré que j'avais pas dix-huit ans.
Ça me faisait
un drôle d'effet de descendre dans la mine avec les vieux.
J'ai quand même
continué dans la mine mais j'ai commencé à
voir toutes les injustices.
La plupart des chefs
dans cette mine, c'est des Français.
Moi j'étais
manuvre mais, comme j'étais jeune, j'étais
pas très fort.
Le premier jour
que je travaille on me donne une pioche et une pelle.
On me dit : "
Tu vas creuser. " II fallait arranger des tas de pierres
pour le passage d'une machine qui transporte le minerai.
Je commence à
taper mais comme j'étais encore maladroit, la pioche me
paraissait très lourde, la pelle aussi, alors le chef,
qui connaissait mon père et qui me connaissait un peu,
me disait : " Tu vois, c'est bien fait pour toi.
Il faut foncer c'est
ce que tu as toujours voulu.
Maintenant c'est
plus l'école ici, on rigole pas ici, il faut creuser sinon
tu vas être mis à la porte. "
Je faisais mon possible
mais je voyais que les gens ressentaient pas ce que je ressentais.
Mon père
me disait : " Si tu ne vas plus à l'école,
si tu arrêtes, tu es plus un homme. "
Moi, je réfléchissais,
et je me disais : " C'est pas normal, l'école avant,
elle n'existait pas et pourtant il y avait des hommes.
C'est pas par l'école
que ça veut dire qu'il y a des hommes.
II y a bien des hommes qui n'ont jamais été à
l'école mais c'est des hommes quand même.
Homme, ça
veut dire sérieux et tout. "
Vu que j'avais quitté
l'école c'était comme si j'étais devenu
quelque chose de mauvais.
C'est ça
que me disaient les chefs : " Bon maintenant tu vaux rien,
il faut travailler parce que tu n'as pas été à
l'école. "
Je me rappelle que
les premiers jours en sortant du travail j'allais directement
chez moi, je mangeais pas, je m'endormais directement, et le
lendemain je me réveillais pour retourner à mon
travail.
Ma famille me disait
: ce Tu vois ce que ça veut dire le travail, c'est dur.
" Je comprenais ce c'est dur ".
Après je
me suis un peu habitué.
Dans le village
on se connaît entre nous et il y a un commissariat.
Là-bas, les
policiers avaient une allure de gens respectables, ils étaient
invités par tout le monde.
C'est ça
qui me tracassait beaucoup.
Dans les cafés,
tout le monde leur offrait à boire.
Et puis y a eu une
histoire : j'ai eu un petit frère qui se battait avec
un autre garçon, des histoires de gosses, mais un policier
est venu qui a pris mon frère qui avait à ce moment-là
dix ans, et l'a battu.
Le flic était
un peu bourré je crois.
Moi, j'étais
dans un café et des gens m'ont dit : " II y a ton
frère qui est battu par un policier ", alors je sors
du café et je trouve le policier qui coince mon frère
et lui met des menottes.
Je dis : "
Mais pourquoi tu le frappes? "
II m'a dit : "
De quoi te mêles-tu? " J'ai dit : " C'est mon
frère... " Alors il m'a donné un coup.
Sur le moment, j'ai
rien fait mais ça m'a vachement travaillé.
Après, dès
que je voyais ce policier, je ne me sentais pas très bien.
Le jour de la paye,
quinze jourss plus tard, je vais au bar à côté
pour boire un coup.
Là, je trouve
un mec qui parle de la politique, sur les syndicats et tout.
Il commence à
discuter avec moi : " Vous les jeunes vous avez un grand
rôle à jouer... "
J'écoutais
pas très bien et tout d'un coup le policier entre avec
un ouvrier que je connaissais bien.
Le mec qui était
avec le policier me dit : " Alors, Moktar, tu me payes à
boire. "
Comme il était
avec le policier j'ai dit : "Je paye ni à toi ni
à personne. "
Alors le flic me
dit : " Ça y est vous êtes devenu grand, mais
vous allez voir, maintenant on va s'occuper de vous. "
II m'a dit des tas
de conneries et puis enfin : " Vous ne servez qu'à
être enculé. "
Alors je me lève
et je dis : " II y a pas un grand enculé comme toi.
"
Alors le policier
me donne une gifle.
Je ne sais pas comment
j'ai fait, je me bagarre pas beaucoup, mais ce jour-là,
je l'ai complètement esquinté, ça saignait,
il avait le nez aplati.
On m'emmène
au commissariat.
Les policiers dans
le commissariat se foutaient pas mal de ce que j'avais fait.
Dès qu'ils
entraient, ils disaient : " Voilà, celui-là
qui a frappé Hamid " (le policier s'appelait Hamid),
ça suffisait pour que je reçoive des coups de pieds.
C'était comme
si j'avais commis un crime.
J'expliquais mais
ça ne servait à rien.
Je commençais
à voir qu'il n'y a pas de justice mais c'était
surtout quand on m'emmène au tribunal... c'était
un tribunal de village.
Là le policier
dit : " Je passais dans le café. Lui, il faisait
déjà la bagarre.
Quand je suis entré
il m'a tapé. " Moi j'ai dit : " Non, voilà
ce qui s'est passé ", mais le commissaire qui est
aussi dans le tribunal avec le juge a dit : " Celui-là,
on le connaît, il a quitté ses études ",
et on m'a mis un mois et demi de prison.
C'est là
que j'ai beaucoup réfléchi.
Je me posais des
tas de questions.
C'était une
petite pièce avec des gardes.
Pas vraiment une
prison, mais je pensais que même si on me disait que j'étais
libre, que je pouvais sortir, en fait, je n'étais pas
libre, "Même si tu n'es pas enfermé, tu n'es
pas libre. "
C'est à ça
que je réfléchissais beaucoup.
Comment des gens
ont le droit de me dire que je suis pas libre.
Quand je réfléchissais
que j'avais rien fait, que c'était une injustice, je pensais
que je me vengerais de ce flic parce que c'est pas normal, parce
que c'est lui qui doit être en prison et pas moi.
Quand enfin je suis
sorti de ce truc, les gens voyaient en moi comme un voyou, comme
quelqu'un qui a fait des crimes.
Moi au contraire
je pensais que la justice doit me revenir.
Je retourne pour
travailler, on refuse de me reprendre : " Le commissaire
a dit qu'on ne peut pas t'accepter. "
Je commence à
chômer.
J'ai chômé
pendant un an.
Qu'est-ce que je
devais faire? On parle beaucoup de l'étranger parce qu'il
n'y a pas de boulot dans le pays.
Il y a eu autre
chose aussi.
En 67, il y avait
ce qui se passe en Palestine.
Je ne quittais pas
la radio une seconde.
Avant je ne m'occupais
pas de ces choses, mais pendant que je chômais j'avais
toujours l'oreille à la radio, depuis le matin jusqu'à
ce que j'en peux plus, je dors.
En 68 également
je quittais pas la radio, pour les bagarres qu'il y a eu ici...
La France me paraissait,
c'est ça qui court là-bas, un pays civilisé.
J'écoutais
beaucoup la radio française et je me disais: " C'est
bien la France, c'est pas comme le Maroc.
Il y a la justice,
les gens trouvent du boulot. "
Je me disais, c'est
bien.
Mon père
a toujours été dans les syndicats.
Il a été
dans un parti qui a fait la résistance contre le colonialisme,
le parti de l'Istiqlal.
Moi, dès
que j'ai été dans la mine, je croyais à
aucun parti au Maroc.
Il y avait deux
partis et deux syndicats.
Ce que je ne comprenais
pas c'est que si un syndicat lance une grève, c'est pour
les salaires, pour des trucs qui intéressent tout le monde,
alors pourquoi l'autre syndicat parce qu'il est pas d'accord
avec l'autre parti, ne fait pas grève.
Ça fait la
division alors que le parti qui n'est pas d'accord c'est pour
des choses qui n'intéressent personne.
Avant il y avait
un seul syndicat.
Quand il y avait
des grèves générales dans la mine, il y
avait ni police, ni soldats, ni rien, mais quand il y a eu deux
syndicats, deux partis, dès que l'un faisait grève,
l'autre disait " non " et il y a eu la police, les
soldats qui viennent dans le village.
Il y a eu des morts,
des ouvriers tués parce qu'ils ont travaillé alors
que les autres ont fait grève.
Ou vice versa.
Des ouvriers qui
se tuaient les uns les autres.
Mon père
se trompait.
Il restait dans
ces trucs-là.
Il disait que ceux
qui dirigeaient l'autre parti étaient des salauds.
Il me disait : "
Je suis vieux maintenant et toute ma vie était dans ce
parti.
On a eu l'Indépendance
grâce à ce parti.
Maintenant si je
fais quelque chose ça va servir à rien. "
Je le comprenais
plus ou moins.
C'est le minerai
qui lui a esquinté la vue.
Quand sa vue a commencé
à diminuer il a acheté des lunettes, au marché
aux puces, des lunettes qui lui montraient les lettres plus grosses,
mais après il pouvait plus lire.
Il me prenait moi
pour que j'achète le journal et que je lui lise.
Pendant les Six
Jours de la guerre d'Israël l'atmosphère a changé
dans la ville.
Les petits commerçants
sortent leur radio, ils augmentent le son à fond quand
il y a les informations, des groupes se font devant chaque boutique.
Le parti U.N.E.F.P.L.
a essayé de faire une manifestation pour soutenir les
Arabes, mais la police a matraqué tout le monde parce
que tout le monde est pour la lutte du peuple palestinien.
Ce qui n'est pas
clair, c'est la question sionisme, juifs, tout ça...
Pour la Palestine,
les gens disent : " Bon on va partir ", ça s'est
vu partout.
C'est même
pour ça qu'Hassan II a voulu envoyer des soldats là-bas.
Il les montrait
à la télé, dans les journaux, en défilé
dans toutes les villes pour calmer les gens qui disaient : "
Nous, on veut partir volontaires ", mais on n'enrôlait
personne.
En écoutant
les trucs de Mai 68 à la radio, en lisant le journal,
ça m'a encore fait penser que la France c'était
bien.
Surtout quand il
y avait des reportages des bagarres.
La radio disait
que même les journalistes étaient tapés par
la police, même des journalistes de France-Inter étaient
matraqués alors je voyais qu'il y avait le gouvernement,
la police mais que tous les autres gens étaient contre.
Les radios elles-mêmes
disaient beaucoup de mal de la police. Je me suis dit : "
Décidément la France c'est bien. "
Comment j'ai fait
pour venir? Il y a un bureau de placement et dès que le
bruit court qu'il y a du recrutement pour l'étranger,
les gens passent la nuit, font la queue devant le bureau de placement.
Ils peuvent rester
une semaine comme ça en se relayant entre copains pour
aller chercher des casse-croûte.
Moi, on m'a dit
: " Qu'est-ce que tu sais faire? " J'ai dit : "J'étais
mineur. "
On m'a dit : "
Va à Djerada, c'est une mine de charbon. "
J'ai travaillé
dans les mines de plomb, mais je ne savais pas qu'il y avait
encore plus dégueulasse dans les mines de charbon.
Quand je rentrais
dans la mine de charbon je me considérais comme mort,
et tous les ouvriers comme moi.
En sortant de là
j'hésite plus beaucoup à frapper n'importe qui
parce que moi, maintenant, c'est fini, chaque fois que je descends,
je rencontre la mort en bas.
Je voulais pas mourir.
J'en pouvais plus de ramper pendant des kilomètres avec
des charges trop lourdes.
Je suis resté
deux mois, j'ai pas pu résister.
J'ai même
pas attendu mon compte. Ils me payaient six francs la journée
pour le travail le plus dur.
Au bureau de placement,
on donne une carte pour venir voir chaque semaine, s'il y a du
boulot. Je retournais, je retournais.
Un jour, on me dit
: " Est-ce que tu as fait de la soudure? " Moi j'ai
jamais fait de la soudure.
J'ai dit : "
Oui j'ai fait de la soudure. - Est-ce que tu as un certificat?
" J'ai dit : " Je l'ai mais je l'ai pas ici. - Va le
chercher, Rabat nous a appelés, on a besoin de soudeurs
là-bas. "
J'avais un copain
qui était avec moi à l'école, qui travaillait
dans le bureau de cette mine où je travaillais avant.
Je lui dis : "
II me faut un papier blanc avec l'en-tête de la mine. "
II me donne le papier,
là je vais voir un autre copain qui, son père est
commerçant, a une machine a écrire.
Il écrit
le certificat et je me présente au bureau de placement
comme ce soudeur ".
On me dit : "
C'est bien. "
Au bout de deux
mois je reçois une convocation comme quoi je devais me
présenter à l'Office français d'immigration
à Casablanca.
Je ne savais même
pas où j'allais.
Est-ce qu'il y a
du travail à Casablanca?
On nous parle des
usines Chausson à Paris.
On nous dit : "
Vous, vous allez partir pour la France, il faut que vous passiez
des tests. "
Ils discutaient
avec nous pour savoir si on parlait le français.
Ils nous disaient
que là-bas c'était comme au Maroc, qu'il y avait
pas le racisme, qu'il y avait aussi des " souks ",
etc., enfin la propagande.
Ils nous passent
une visite médicale.
J'ai jamais vu une
visite comme ça. On était en file tout nus, une
infirmière passait.
Elle nous regardait
les dents.
Pour une prise de
sang, on tendait tous le bras. Chaque opération, elle
la faisait comme ça, rapidement, comme si on n'était
pas des hommes.
C'était vraiment
pas bien mais à ce moment-là, moi, j'étais
très content, je pensais : " Maintenant, ça
s'est arrangé. "
On nous avait dit
que le voyage était payé, la nourriture et tout.
On arrive à
Casablanca, on nous donne un sac en papier avec deux petites
boîtes de conserve pour tenir cinq jours de train de troisième
classe.
En France, ça
n'existe plus, des trains avec des bancs de bois. On nous dit
que des gens vont nous attendre à notre arrivée
en France.
On était
malades tellement on était fatigués, sans manger.
On arrive ici avec
beaucoup de gens venus avec des contrats pour Chausson, pour
Simca.
Il y avait des cars
qui attendaient ceux qui sont venus pour Simca.
Nous, on se retrouve
à huit dans la gare.
On sait pas où
aller.
Aucun de nous n'a
de l'argent.
Il y en avait encore
un qui avait des cigarettes, c'est tout.
On est arrivé
à six heures et on a attendu jusqu'à minuit.
Là, un mec
de Chausson est arrivé, il nous prend avec des voitures
et nous emmène à Chausson.
Celui qu'on a vu
au Maroc est venu.
Il a répété
au moins cinq fois : " Surtout pas de politique. Vous êtes
là pour travailler. Vous gagnerez assez d'argent pour
l'envoyer à vos parents. "
On faisait pas de
politique à ce moment-là.
On pensait que l'essentiel,
c'est travailler.
Mais à l'usine
on voit que c'est pas bien, que le travail est très dur.
On se rencontrait
entre nous, on disait : " Ça va pas. " On pensait
que la France, c'était pas ça.
On était
logés dans des foyers de travailleurs, la société
gérante dit que le foyer est pour le bien des travailleurs,
qu'elle a pas de bénéfices, mais en voyant de près
la chose, on voit qu'elle fait des bénéfices très
importants.
Ils louent des piaules
à 15 000 balles.
Il y a le lit où
s'allonger et c'est tout.
Et ce foyer-là
était pas le plus dégueulasse.
Souvent ils sont
à dix par chambre.
On n'a pas le droit
que quelqu'un vienne nous rendre visite, pas le droit de faire
du bruit, pas le droit de rentrer à une heure tardive,
vraiment une prison.
Je me suis dit :
" C'est clair que c'est pas bien, alors je vais faire comme
tout le inonde, je vais résister. "
Ça commence
à travailler dans la tête; je vais à l'usine,
le travail est dur, les chefs gueulent, les cadences me rendent
fou, la paye est mauvaise. J
e reviens chez moi,
le gérant gueule, j'ai pas le temps de faire la cuisine...
alors à peine le contrat fini - c'était un contrat
de six mois - on quitte tous Chausson.
On dit qu'on va
aller autre part.
On parlait à
ce moment-là de Renault.
Avant, dans le foyer
j'écoutais toujours la radio, j'achetais beaucoup de journaux.
J'avais beaucoup
de copains qui quelquefois n'osaient pas parler avec le gérant
pour des draps, pour toutes les histoires... enfin ils osaient
pas, alors je descendais avec eux.
Pour tous les papiers
de Sécurité sociale les gens venaient me voir,
ils me racontaient tout sur le gérant : un officier dans
l'armée française en Tunisie, qui parlait bien
l'arabe, et qui disait : " Moi, je suis comme les Arabes
", mais en fait il était très raciste.
Il rentrait dans
les chambres à n'importe quelle heure, il réveillait
les gens.
Il disait : "
Vous êtes dégueulasses, vous n'avez qu'à
retourner chez vous, vous ne savez pas lire, ni écrire.
Normalement vous ne devriez pas vivre, vous n'avez pas le droit
de vivre.
" Moi je l'engueulais,
je lui disais : " C'est pas vrai. "
En travaillant à
Renault-Flins, c'est là que j'ai commencé à
voir des tracts, à entendre qu'il y avait des maoïstes.
Sur la Chine, je
savais que c'était très bien.
J'ai jamais vu quelqu'un
dire que la Chine est mauvaise.
Je comprenais que
c'était un pays progressiste, mais différent des
autres vu que personne ne dit de mal de la Chine, pas comme la
Russie.
Le fait que la Chine
était pas à l'O.N.U. c'était très
bien aussi.
Et même j'expliquais
aux gens pourquoi la Chine, c'est bien; la Chine sait que les
autres gouvernements sont tous des salauds, alors elle va pas
à l'O.N.U.
J'ai vu des tracts
signés " les maoïstes " qui étaient
distribués à Flins. Je lisais et je faisais la
différence avec les autres tracts distribués par
la C.F.T.C. et tous les autres syndicats.
Les tracts des maos
expliquaient, s'il y a un chef dégueulasse, voilà
comment il faut faire.
Pour les cadences,
voilà comment il faut faire.
En prenant un tract
de la C.G.T., on voyait des tas de chiffres pour les coefficients
machin et tout, je comprenais pas.
Enfin, je savais
que ça intéressait personne.
Que les ouvriers
aient une grille de salaire de plus ou de moins, c'est pas ça
qui va diminuer les cadences.
C'étaient
aussi les seuls tracts qui défendaient les immigrés,
qui disaient qu'il n'y avait pas de différence entre Français
et immigrés, qu'ils ont tous les mêmes droits et
que tous doivent s'unir.
La chose qui m'a
frappé aussi, c'est les ouvriers qui sont à la
C.G.T., en fait, c'est pas les ouvriers qui parlent, c'est la
C.G.T.
Si la C.G.T. voit
que les immigrés ont pas les mêmes droits que les
Français, elle voit aussi que le gouvernement ne leur
donne pas ces droits.
Comme elle dit qu'elle
est contre le gouvernement, moi, je dis que la seule chose à
faire, c'est que les immigrés soient délégués
eux aussi, qu'ils aient les mêmes droits.
Mais la C.G.T s'intéressait
pas aux immigrés.
Avant de connaître
les copains maoïstes pour organiser des luttes, je faisais
des trucs surtout sur le foyer.
Ça veut pas
dire qu'il y a eu des victoires, j'ai pas su m'y prendre.
Mais il y avait
un ouvrier qui s'est engueulé avec le gérant pour
payer le loyer...
Ça criait
fort.
Moi, je travaillais
la nuit, j'étais encore en pyjama, je sors à la
fenêtre et je trouve tous les gens aux fenêtres pour
voir ce qui se passait en bas.
Alors je suis descendu
et j'entends le gérant qui dit à l'ouvrier: "
Tu n'as pas le droit de parler parce que tu ne sais pas lire.
T'as intérêt à monter dormir. "
Moi, je gueule aussi
: " C'est ça, tu crois que s'il sait pas lire, c'est
une bête, c'est un animal. "
Et je dis aux autres
ouvriers : " II faut descendre. "
Tous les ouvriers
sont descendus mais je ne savais plus quoi faire.
Les ouvriers ont
dit : " II faut que le gérant choisisse, soit il
s'en va, soit on le tue.
Et même si
la police vient, on va tout brûler. "
Ils disaient n'importe
quoi.
On est resté,
dans le foyer, à peu
près 350 personnes, en bas.
Le gérant
avait peur, la femme
du gérant voulait me parler, elle me disait : " Vous
ne comprenez pas! "
Les gens de l'Amicale
- ce sont les représentants
du gouvernement algérien - viennent et commencent à
dire :
" Du calme! on est bien d'accord que le gérant est
salaud avec
vous, on va arranger ça. "
Qu'est-ce qu'ils
font? Ils entrent avec le gérant pour discuter.
La majeure partie
des ouvriers de ce foyer sont des Algériens, un peu moins
des Marocains et puis beaucoup moins des Tunisiens.
Les gens de l'Amicale
disent : " C'est nous les représentants des Algériens,
on va lutter. "
Moi, je dis : "
Mais y a aussi des Marocains. C'est pas
l'Amicale qui va s'occuper de ça, c'est nous. "
Ils m'ont dit :
" Nous, on est pour l'intérêt de tous les ouvriers."
C'est pas vrai...
Il y a même pas trois jours, j'ai eu une discussion avec
un Algérien. Il m'a dit : " Tu as raison, ce qui
se passe dans l'Amicale c'est que dans chaque section, si c'est
un chef kabyle, tous les autres, c'est uniquement des Kabyles.
Si c'est un chef
qui n'est pas kabyle, il n'y a pas de Kabyles ", etc.
Si l'Amicale représentait
vraiment les ouvriers, elle devrait déjà unir les
gens sur ces trucs simples et pas favoriser ces contradictions
de rien du tout.
Donc au foyer, un
grand responsable de l'Amicale arrive, un vieux qui était
dans le F.L.N. ici, en France - il passe dans toutes les chambres
et il dit : " Ce soir, on va avoir une grande réunion
pour discuter. "
On descend.
Primo, il ne parle
que de l'Algérie, que des Algériens, que du F.L.N.,
que du gouvernement algérien, et à la fin il dit
qu'il jure, au nom du sang qui a coulé, des martyrs qui
sont tombés pendant la guerre d'Algérie, que le
gérant quittera avant la fin du mois, et cela, grâce
aux démarches faites par le Consulat d'Algérie.
Alors les ouvriers
disent : " Si c'est comme ça, on est d'accord, le
gérant va quitter, c'est ce qu'on veut. " II a jamais
quitté!
Maintenant, quand
les gens de l'Amicale viennent, on se fout pas mal d'eux.
C'est après
cette histoire que j'ai commencé à rencontrer les
copains maoïstes.
Avant j'achetais
La Cause du peuple, j'étais très content parce
que c'était simple.
Ce qu'ils disaient
était vrai.
La rencontre avec
les maoïstes a changé mes perspectives parce que
j'ai vu qu'il fallait s'organiser, j'ai vu déjà
comment faire.
Dans le foyer, il
y avait des copains qui avaient des idées, des expériences
mais je ne savais pas ce qu'on pouvait faire de plus.
J'ai pas fini sur
le foyer parce qu'après j'ai fini par être expulsé.
Je voyais que c'était
très bien quand on est descendus, qu'on était tous
contents, et que le gérant avait peur mais je ne savais
pas comment continuer pour qu'on ait la parole et que le gérant
parte.
Après, dès
que quelqu'un avait un problème, c'était moi qui
descendais engueuler le gérant, jusqu'au jour où
il est venu avec des gendarmes.
Il m'a dit : "
Tu vas. être expulsé. "
J'ai dit : "
Donne-moi un papier. "
II avait peur de
me donner le papier.
Je savais pas ce
que je pourrais faire avec ce papier, mais comme il avait peur,
je me disais il me faut un papier.
Il me l'a pas donné,
mais après j'ai dit aux copains : " Je vais pas partir
comme ça. Je veux rester pour voir jusqu'où il
peut aller. "
Un jour, je vais
au boulot et quand je reviens je trouve dans ma chambre des nouveaux
qui installent leurs bagages.
Je leur dis : "
Qu'est-ce que vous faites là? " Ils me disent : "C'est
le gérant qui nous a donné la chambre. " Moi,
je dis : ce Non, il faut sortir. "
Ils voulaient se
bagarrer avec moi.
Alors, je leur ai
expliqué que nous sommes pareils, que si c'est le gérant
qui leur a donné la chambre, ils doivent retourner au
gérant pour lui demander pourquoi il donne une chambre
où il y a quelqu'un dedans.
Ils ont compris
et on est descendus ensemble voir le gérant qui a dit
: " Bon, je vais appeler la police. "
Je suis allé
avertir mes amis, on est restés dans la chambre à
attendre.
A onze heures tout
le monde est allé se coucher parce qu'ils travaillaient
le lendemain.
Je suis resté
avec un type.
Alors y a quatre
gendarmes qui entrent.
Le gérant
dit : " C'est un rebelle, il porte atteinte à la
sûreté de l'État, c'est un agitateur, c'est
un maoïste. "
Moi, je comprenais
pas ce qu'il disait.
C'est vrai, j'étais
seul avec les ouvriers, j'avais jamais eu de contacts avec d'autres
personnes, je connaissais pas encore les camarades. J
e savais pas ce
que ça voulait dire : maoïste. Quand il me disait
: " Tu es maoïste ", je me disais : " Si
les maoïstes font comme je fais, alors c'est très
bien. "
Les gendarmes me
prennent à deux, par les épaules, ils me descendent
jusqu'en bas.
Deux se mettent
à la porte du foyer et me disent : "Barre-toi."
C'était la
nuit, vers onze heures, minuit.
Je dis : "
Je remonte prendre mes bagages pour aller à l'hôtel,
j'ai pas où aller.
- Non, non. Ce soir
tu ne rentres pas. Un autre jour peut-être, mais pas aujourd'hui.
"
Ils avaient peur
que j'aille réveiller tous les copains. Alors je suis
parti seul dans la nuit.
C'est là
que j'ai contacté des camarades et qu'on a vu beaucoup
plus sérieusement ce qu'on pouvait faire. J
'ai vu qu'il y a
beaucoup à faire.
On est sur la même
route.
Dans le foyer, je
me disais que je suis peut-être tout seul à voir
comme ça; peut-être je pense mal, mais quand j'ai
vu qu'il y avait beaucoup de gens, beaucoup d'ouvriers qui réfléchissaient
comme moi, qui se disaient : " Ça va me servir à
quoi de venir ici en France : ramasser des petites économies,
retourner chez soi, revenir ici. "
Je voyais que ça
n'avait aucun sens de continuer comme ça.
Qu'il fallait qu'on
se retrouve ensemble, même ceux qui avaient peur, même
ceux que la famille empêchait de lutter.
La lutte que je
mène ici et la lutte que je mènerai chez moi, c'est
la même.
La question de l'unité
avec les travailleurs français doit venir des travailleurs
immigrés parce qu'ils sont beaucoup plus disposés
à s'unir : ils ont échappé à toute
l'intoxication du parti communiste français, il y a pas
beaucoup de choses qui les) arrêtent.
Les travailleurs
immigrés sont conscients du besoin d'unité avec
les travailleurs français.
Par exemple, ce
qui s'est passé dernièrement à Chausson
: la concentration du travail le plus dur est pour les Marocains
et les Arabes, c'est eux qui déclenchent le mouvement.
La C.G.T. sort un
tract pour calmer.
La réaction
des Français à ce moment, c'est : " Les Arabes,
ils en veulent. "
Être maoïste,
pour moi, ça veut dire qu'ici, en France, les ouvriers
et surtout les ouvriers immigrés vont relever la tête.
Je me dis que le
jour où je décide de retourner chez moi, ce sera
beaucoup plus simple qu'ici parce que chez nous les gens sont
pauvres et c'est clair : il y a pas toutes ces C.G.T. qui trompent
les gens.
Là-bas, ils
comprendront tout de suite. Je lutte ici vu qu'actuellement les
ouvriers immigrés sont exploités ici.
Je lutte pas uniquement
pour retourner chez moi, mais pour faire la révolution
ici en France et chez moi.
Si les travailleurs
immigrés sont une force pour la révolution en France?
Sûrement.
S'il n'y a pas de
participation des ouvriers immigrés dans la révolution
en France, il y aura peut-être quelque chose mais ce ne
sera jamais une révolution en France, il y aura peut-être
quelque chose mais ce ne sera jamais une révolution, ce
ne sera jamais les ouvriers au pouvoir.
Tous les ouvriers
immigrés doivent penser comme moi, mais pour nous, les
Arabes, c'est rare de penser qu'on est définitivement
en France, alors beaucoup disent : " Ça va me servir
à quoi? D'accord je suis exploité, les ouvriers
sont exploités, il faut lutter mais on va retourner chez
nous et ça va pas servir à grand-chose. "
Moi je pense que
si on lutte pas ici, on va rien faire chez nous non plus.
Si on vient ici
où il y a tous les ennemis, les patrons, et tout, on
doit faire l'unité avec les travailleurs français
: c'est la meilleure solution pour écraser les patrons,
mais la C.G.T. empêche les Français de lutter,
alors que la lutte est claire à ce moment-là, pour
les cadences et tout.
Si le mouvement
de lutte se déclenche à la base, si c'est les ouvriers
qui décident la grève, ils la suivent tous, que
ce soit les immigrés ou les autres, mais comment veux-tu
que les ouvriers immigrés suivent un mot d'ordre de
la C.G.T. alors qu'ils savent que la C.G.T. ne fait rien pour
eux?
C'est comme si la
C.G.T. disait que les immigrés et les Français
c'est pas la même chose.
La C.G.T. lance
des mots d'ordre, comme " La retraite à 60 ans ".
Tout le monde voudrait
bien avoir sa retraite à 60 ans, même les immigrés,
mais les immigrés pensent qu'ils vont rester ici trois
ans, cinq ans (dans la réalité ils sont forcés
de rester beaucoup plus), mais la retraite à 60 ans,
ça les concerne pas vraiment.
C'est pas tant la
peur de la répression qui empêche les immigrés
de lutter mais qu'ils ne voient souvent pas le but de la lutte
qu'ils vont mener.
Les ouvriers français
de leur côté, se rendent pas compte encore des conditions
réelles de la vie des immigrés, parce que s'ils
se rendaient compte, il y aurait beaucoup de choses de changées.
Sur l'unité
avec les Français, avant, je pensais qu'il y avait des
Français pas racistes, mais qu'en général,
ils étaient tous des racistes.
Je pensais pas qu'un
jour des Français puissent s'unir comme des frères
pour mener une bataille où les risques et les buts sont
les mêmes, comme on le fait maintenant.
Je me disais : il
y aura peut-être des exceptions comme pendant la guerre
d'Algérie où il y a des Français qui ont
participé au truc, mais je pensais qu'il y avait beaucoup
d'idées racistes chez les Français.
Maintenant je le
pense plus et je vois qu'on avance à grands pas vers l'unité
entre les immigrés et les Français.
Si la majeure partie
des Français ont des réactions racistes, c'est
qu'ils tombent dans le panneau des patrons, mais jamais ils tombent
au point de se mettre contre la lutte des immigrés.
Ils disent que les
immigrés c'est une chose, eux, c'est autre chose.
Pourtant je sens
que ça a changé et que ça change de plus
en plus, parce que les travailleurs français sentent de
plus en plus leur exploitation.
Avec la nouvelle
génération d'ouvriers français c'est beaucoup
plus facile.
Les jeunes échappent
à l'expérience des vieux ouvriers français.
J'ai discuté
avec pas mal d'ouvriers français.
Le niveau de conscience
des vieux ouvriers est vachement net sur la question des patrons,
mais sur la question des immigrés, c'est dur.
Le barrage de la
langue n'est pas le principal parce que les immigrés,
dès qu'ils sont en France, font beaucoup d'efforts pour
parler le français.
L'alphabétisation,
c'est une bonne chose pour la compréhension entre les
ouvriers, mais la question de l'unité c'est dans la lutte
à l'usine que ça va s'apprendre, en multipliant
les luttes ici et en soutenant les luttes des peuples arabes.
L'étape de
la prise de conscience et l'étape de l'agitation sont
largement dépassées.
On est dans une
étape beaucoup plus sérieuse, il faut penser à
l'organisation.
Maintenant, on peut
parler d'une force des travailleurs en France.
La question de la
Révolution française et de la Révolution
arabe est très liée.
Si je prends ce
qui s'est passé au Maroc le 10 juillet (Skirat), d'après
tous les gens que j'ai vus, c'était l'affolement total
à la télévision française.
Ça prouve
que le gouvernement français tire encore beaucoup de profit
des pays arabes, ne serait-ce que la main-d'uvre.
Y a même un
ouvrier qui a fait enregistrer une chanson populaire vachement
connue - c'est pas politique la chanson - mais il raconte très
bien la situation dans laquelle vit un ouvrier ici.
La chanson s'appelle
Le Passeport : il raconte comment l'ouvrier a eu le passeport,
comment il arrive ici, comment il se réveille le matin,
la pluie, la chambre à six, l'usine, le racisme, etc.
Le racisme est
toujours présent mais il y a des victoires sur ce racisme,
c'est ça que je voulais dire.
Chez les larges
masses immigrées, quand il y a le truc des élections,
ils disent que si un jour c'est Duclos ou le parti communiste
qui gagne, on va nous chasser.
Sur le parti communiste,
les immigrés ont les idées claires.
La prise de conscience
des ouvriers se forge.
Ils comprennent
bien que si tous les ouvriers ne luttent pas pour la victoire,
ça ne veut rien dire de continuer de trimer pendant toute
la vie et, à la fin, il y a la mort.
J'ai reparlé
avec mon père, surtout sur le Maroc.
Je lui ai montré
qu'il n'y avait même pas la liberté d'expression
au Maroc, et que l'on ne peut pas attendre que la loi ou je ne
sais quoi donne la parole ou la démocratie.
" La seule
chose, maintenant, c'est les armes. "
II paraissait plus
ou moins d'accord, mais mon père respecte la religion.
La question de la
religion chez les travailleurs immigrés a perdu tout son
sens.
La religion, c'est
devenu comme un rite. La seule chose que pratiquent encore les
immigrés musulmans, c'est le carême et le Ramadan,
mais la façon dont ils pratiquent est totalement différente
de ce que dit la religion.
D'année en
année ça change, les gens commencent à arranger,
à critiquer, à dire : " Ça sert à
rien. "
Non, la question
de la religion ne pose pas de problèmes. Dans la reb'gion
musulmane, il y a d'ailleurs beaucoup de bonnes choses, sur la
question de l'égalité des hommes.
C'est clair pour
tous les émigrés, et surtout les Arabes, que la
meilleure solution pour gagner c'est la violence, la lutte violente
et les armes.
C'est rare de trouver
quelqu'un qui dira qu'il faut discuter.
Si demain, par exemple,
la révolution palestinienne avait besoin de volontaires,
il y en a des millions qui voudraient partir.
La question des
armes pour les immigrés s'est vachement propagée.
Les Français,
eux, ont tendance à régler les problèmes
pacifiquement et c'est ça qu'il faut combattre.
Il faut une organisation
maoïste de tous les travailleurs en France, avec une autonomie
de mouvement pour les travailleurs immigrés, enfin surtout
pour les travailleurs arabes, je ne connais pas les problèmes
pour les autres nationalités.
On est en train
de constituer cette organisation au même titre qu'on est
en train de constituer celle de tous les travailleurs.
C'est dans le mouvement
qu'on voit comment il faut faire et ce qu'on veut concrètement.
J'ai travaillé
dans des usines de voitures et je sais ce que sentent tous les
ouvriers : qu'ils sont pas en train de faire des voitures mais
qu'ils sont en train de faire n'importe quoi.
L'important c'est
que les gens comprennent ce qu'ils font pour le faire mieux.
L'organisation de
la lutte, c'est que les gens comprennent qu'ils doivent compter
sur leurs propres forces pour changer ça.
Un maoïste
arabe, quand il lutte ici contre les patrons, contre la bourgeoisie,
en même temps il lutte et il s'organise contre les réactionnaires
des pays arabes.
Pour arriver à
la libération de la Palestine et des pays arabes il faut
qu'il y ait un front de lutte pas seulement en Palestine.
Il faut que les
fronts soient dans tous les pays contre les réactionnaires.
Un militant maoïste
arabe qui aura acquis ici une expérience de lutte fera
l'effet d'une bombe atomique quand il retournera dans un pays
arabe.
Là-bas, il
y a les paysans et peu d'ouvriers et puis, il y a ceux qui gouvernent,
c'est le féodalisme.
On n'aura pas à
régler les problèmes P.C.F., C.G.T., etc.; ce sera
beaucoup plus simple et plus rapide, mais il faut savoir qu'un
militant maoïste, là-bas, ne pourra pas bouger.
Il ira directement
en taule.
Tout de suite en
débarquant, parce que les gouvernements ont déjà
tous les renseignements sur lui.
Il faudra avoir
des méthodes de travail clandestines que nous, ici, on
n'a pas encore.
J'ai lu l'autre
jour le rapport du parti maoïste de l'Inde.
C'est un truc analogue
qu'il faut faire au Maroc.
Pour un pays comme
le Maroc, où la répression est à un haut
niveau, il faudra physiquement éliminer les ennemis de
classe.
Dans le rapport
indien c'est très clair.
Pour la France,
c'est pas ça.
En septembre 70,
il y a eu une levée, dans les cafés, dans tous
les foyers, partout, des travailleurs arabes qui ont commencé
à discuter, à bouger, à bouillonner.
La répression
féroce du peuple palestinien a fait que tous les travailleurs
arabes se sont reconnus dans le peuple palestinien parce qu'il
faut avoir ça en tête : même ici, les travailleurs
arabes, ils appartiennent au peuple arabe.
En septembre 70,
on a compris qu'il existe, ici, un peuple arabe, un peuple uni,
que nous, ouvriers arabes, nous sommes l'avant-garde pour la
lutte de libération du peuple arabe.
C'est ce qui nous
permet d'entrer dans la lutte ici en France parce que la question
nationale et la question de la lutte de classes sont, pour nous,
deux choses qui sont unies.
Les comités
Palestine naissent en septembre 70.
Il y avait un certain
nombre de militants maoïstes arabes qui, d'ailleurs, pour
dire la vérité, se posaient des questions : "
Qu'est-ce qu'on fait ici? "
Pour nous, faire
la révolution en France c'était un problème.
Le travailleur immigré,
il pense toujours qu'il va rentrer, qu'ici c'est pas la peine
de lutter.
S'ils ne pensaient
pas ça, tous les travailleurs arabes seraient déjà
avec nous.
C'est contre ça
qu'on doit lutter.
Maintenant, c'est
clair, les Arabes comprennent, la solution est apportée
par septembre 70.
Avant septembre
71, l'esprit c'était souvent : " Tu vas
lutter ici mais qui est-ce qui va aller au pouvoir, c'est les
Français. Alors pourquoi lutter? "
Avant septembre
71, c'était l'esprit national.
Les Arabes disaient
: " Les patrons, c'est tous des sionistes. " Quand
on disait pas : " C'est tous des Juifs. "
Maintenant, le courant
maoïste, l'esprit de la lutte de classes, est passé
: les Arabes savent qu'ils ont le même ennemi que les Français.
Ça se voit
à la Goutte d'Or quand les Arabes sont entrés chez
la boulangère parce que c'est une raciste.
Ils lui ont pas
tout saccagé, ils ont tout vidé mais pas saccagé.
Pourquoi? Parce qu'ils ont pensé : " Si on fout tout
en l'air, après les Français comprendront pas.
"
Maintenant, il y
a vraiment des ouvriers maoïstes arabes. C'est comme ça
que l'autre semaine à Barbes pour Djellali [un jeune Algérien
de seize ans, assassiné dans le quartier de la Goutte
d'Or à Paris, en novembre 71, par un concierge français],
les frères algériens sont descendus avec le drapeau
algérien, pas celui de la Révolution bourgeoise
de Boumediene, celui de la Révolution algérienne.
Et aussi avec le
drapeau rouge, de la Révolution française.
Chaque fois qu'on
avance dans le sentiment qu'on est des Arabes, chaque fois qu'on
avance dans la libération du peuple arabe, on avance aussi
dans l'unité avec les Français, on avance dans
la Révolution française.
Tout est lié.
Dans la lutte commune, le racisme, il tombe.
Ça, on le
voit déjà au moment des grèves.
Les différences,
c'est plus ce qui compte en premier.
Décembre
1971.
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