ENQUÊTE
SUR LES MAOS EN FRANCE
GEORGES E.
GEORGES. - Mon père était
militaire et j'ai été ballotté un peu partout,
à Bordeaux, à Tours, à Madagascar.
A quinze ans, j'étais
à Alger, pendant la guerre d'Algérie.
J'ai passé
mes bachots et j'ai commencé à faire une préparation
pour les études d'ingénieur, une licence de mathématiques.
C'est là
que j'ai commencé à m'intéresser à
la politique.
En 1967, je faisais
partie de l'U.J.C.M.L.
A l'époque
on pensait que si l'on voulait comprendre quelque chose à
la réalité ouvrière, il fallait y aller,
plonger dedans.
Je le pense toujours.
D'ailleurs le président
Mao l'a dit : on ne comprend pas la classe ouvrière, si
on ne l'approche que du bout des doigts.
Mes parents font
partie de la classe ouvrière mais j'ai aussi un héritage
intellectuel petit-bourgeois.
Je n'en fais pas
des complexes mais je ne peux pas le nier : les gars qui ont
commencé à travailler à quatorze ans ont
une autre expérience que moi qui ai poursuivi mes études.
Si je suis allé
travailler avec les ouvriers, ce n'est pas parce que je me considérais
comme un petit-bourgeois taré, c'est parce que je veux
transformer la société et que, pour ça,
il faut aller du côté des masses.
Les masses, ce sont
les ouvriers et les paysans. Je suis passé de leur côté.
Voilà, c'est tout pour mon histoire personnelle.
Que peut-on comprendre
du monde si l'on n'a pas vu chaque partie du monde?
Le prolétariat,
la classe ouvrière est une partie fondamentale du monde.
Que peut-on comprendre
si l'on ne comprend pas les motivations des ouvriers, leur système
de pensée, leur idéologie?
Si l'on ne saisit
pas ça, on ne voit pas clair, on n'avance pas ou d'une
façon très confuse.
Je n'ai pas pris
la décision de travailler en usine d'une
manière théorique.
Ça a été
une décision collective avec les
camarades de l'U.J.C.M.L.
A ce moment-là
notre occupation principale consistait à étudier
les uvres du président Mao qui dit et qui répète
qu'il faut penser à la majorité.
Or, la majorité,
c'est le peuple.
On ne peut penser
à la Révolution sans connaître l'avis du
peuple.
Alors, cet été-là,
on s'est lancés dans des enquêtes sur la vie à
la campagne.
On est allés
vivre avec les paysans.
On a intitulé
ça : Enquêtes à la campagne.
Il y a d'ailleurs
un article du président Mao qui s'appelle : Enquêtes
à la campagne!
Ça arrive
encore à de jeunes étudiants de partir au hasard
découvrir la province.
Seulement, nous,
nous avons fait ça en 1967, c'est-à-dire avant
Mai 68, et c'était véritablement la jungle!
En plus, on avait
choisi, comme par hasard, un véritable " os "
: une région où les paysans sont particulière
ment âgés et où, dans le passé, ils
n'avaient pas manifesté une grande combativité.
Un pays de textiles,
replié sur lui-même, avec une très forte
population de paysans-ouvriers : les Vosges, une région
difficile.
A la fin de l'été,
on a pensé qu'il fallait que quelqu'un du groupe reste
sur place, à continuer l'enquête, et je me suis
proposé.
Je croyais qu'il
suffisait d'être proche des ouvriers, et je me suis engagé
comme pion dans une sorte d'école professionnelle où
on forme des ouvriers du bâtiment,
des maçons.
Au bout d'un mois,
je me suis aperçu que je ne
comprenais rien et que je ne comprendrais jamais rien à
la
réalité ouvrière de cette région
- peut-être aurait-ce été différent
dans une autre région - si je n'entrais pas à l'usine.
Tant que je me contenterais
de rester au bistrot ou à la porte
de l'usine, je ne comprendrais rien.
Il fallait que j'aille
à l'intérieur de l'usine, avec les ouvriers.
Les ouvriers savent
toujours parfaitement qui on est.
Si on tente de cacher
quelque chose, c'est uniquement pour des raisons de police, ça
n'est jamais par méfiance vis-à-vis des ouvriers.
Il est idiot de
cacher qui on est aux ouvriers.
Ça les intéresse,
au contraire. Voir un intellectuel à l'usine, pour eux
ça fait problème et ils posent toutes sortes de
questions : " Pourquoi est-ce que tu viens là?
Qu'est-ce qui t'a
pris?
Moi, si je pouvais
gagner deux cent mille francs par mois, je ne serais pas là!
"
Ils peuvent dire
bien des choses, ce qui est sûr c'est que ça ne
les laisse pas indifférents que quelqu'un vienne travailler
à l'usine volontairement.
Ça leur paraissait
très étonnant.
Moins maintenant,
parce que ça devient plus fréquent : le nombre
des intellectuels appartenant ou non à l'organisation
maoïste qui vont à l'usine (et il ne faut pas sous-estimer
le nombre de ceux qui ne sont d'aucune organisation) va croissant.
L' " établissement
", cela devient une pratique. Elle existe d'ailleurs depuis
longtemps : j'ai trouvé de vieux établis qui sont
venus travailler à l'usine il y a maintenant quinze ans!
Des intellectuels
qui avaient quitté la société pour aller
se réfugier dans un travail en usine, et qui y sont restés.
Ça n'avait
rien à voir avec la misanthropie!
J'en ai connu un
: un artiste peintre, très célèbre.
Il a deux toiles
au musée d'Art moderne de New York.
Ça fait quinze
ans qu'il travaille en usine, comme établi, et c'est un
grand peintre.
Depuis 68, par exemple,
il a complètement changé de genre.
Il a abandonné
la peinture qu'il faisait avant, une peinture vachement abstraite.
Il prenait une radiographie
et il en faisait un tableau.
Une radiographie
de bras, du dos, il la colorait et ça devenait une peinture.
Ce type-là,
il n'y a aucune raison de dire que c'est un misanthrope, il est
très aimé des ouvriers, il n'est pas du tout isolé
dans son usine, an contraire!
Déjà,
avant Mai 68, il avait retiré ses tableaux des galeries
du quartier de Saint-Germain.
Il disait : "
J'ai retiré mes tableaux parce que ce sont de vieux cons
qui les regardent, des bourgeois, et moi ce qui m'intéresse
ce sont les gens du peuple. Je veux que ce soient eux qui voient
ma peinture. "
En fait, il n'avait
pas trouvé le moyen de se lier aux travailleurs sur la
question de la peinture.
Ce n'est d'ailleurs
pas un problème facile à résoudre. Personne
ne venait chez lui, voir ses toiles.
Alors, à
partir de 68, il a reposé le problème : il a cessé
de faire cette peinture abstraite qui, au fond, était
un héritage bourgeois, une chose à laquelle n'adhèrent
pas les ouvriers. Je ne dis pas que c'est réactionnaire,
je dis simplement que les ouvriers n'y adhèrent pas.
Je me rappelle une
de ses toiles, une radiographie de buste et de cou sur laquelle
il avait travaillé, on pouvait y voir ce qu'on voulait,
le panier de crabes!
Ça pouvait
peut-être dire quelque chose aux intellectuels, mais pas
aux ouvriers!
En 68, il a complètement
rejeté ce genre de peinture.
Il a traversé
une période de crise aiguë, il commençait
ses tableaux d'une façon, puis les changeait en cours
de route; c'était lui, en fait, qui se transformait de
l'intérieur, qui franchissait une étape.
Il s'est mis à
faire des tableaux sur les barricades.
Avant 68, il avait
commencé une toile sur Hiroshima : on voyait des corps
mous, angoissés.
Après 68,
le même tableau s'est transformé, c'est devenu un
tableau sur les barricades avec des tas de drapeaux, des drapeaux
rouges.
Puis il a trouvé
que les drapeaux rouges étaient un peu stéréotypés,
et c'est devenu une masse rouge...
Enfin c'est un gars
qui se creuse le cigare pour arriver à produire quelque
chose!
Il a fait aussi
des dessins pour La Cause du peuple, des dessins qui étaient
bien.
Le dessin c'est
plus facile à manuvrer que la peinture...
A l'usine, je faisais
un travail de manuvre.
J'ai été
marqueur, ça veut dire que tous les deux cents mètres,
par exemple, il faut couper le tissu.
Ça pèse
lourd, près de quarante kilos à trimbaler!
Et les femmes qui
travaillent aux métiers à tisser; il faut voir
ça! L'espace entre les métiers est réduit,
à peine trente centimètres.
C'est exprès,
pour gagner de l'espace, parce que le patron veut mettre le plus
de métiers possible dans son usine pour gagner le plus
d'argent possible... il n'y a aucune fille qui ait le bassin
étroit comme ça!
Alors, forcément,
pour passer, elles sont obligées de se mettre de travers,
de marcher en crabes.
Elles font des kilomètres
et des kilomètres de biais dans la journée pour
rattacher les fils, et elles finissent par marcher tout le temps
comme ça.
Les gars, dans la
rue, les reconnaissent; ils disent : " Celle-là,
c'est une tisserande. "
Elles ne savent
plus marcher autrement qu'en sautillant!
Je suis resté
six mois.
C'était dur.
Je ne savais pas
bien comment m'y prendre.
J'avais lu des_b0ûquins
de Mao, et c'était tout.
Un bouquin de Mao,
ça n'est jamais qu'un bouquin et je me suis retrouvé
comme ça, tout seul, dans la pampa!
Et en plein hiver!
Il a bien fallu que je me débrouille.
Je gagnais 45 000
francs par mois et j'en lâchais dix mille pour ma piaule.
Il y a eu de la
neige pendant trois mois et il a fait - 20°.
J'étais enchanté
d'aller à l'usine parce qu'à l'usine il faisait
+ 25° avec une proportion d'humidité correspondante.
C'est nécessaire,
sinon le fil casse!
Alors, comme c'est
le fric du patron qui s'en va, quand le fil casse, n'aie pas
peur, question humidité et question température,
c'est toujours impeccable!
Pour les salaires,
c'est une autre affaire, mais pour la température et l'humidité
ça va toujours!
Je débarquais
avec l'idée de faire la révolution!
Mais il fallait
trouver ce qu'il fallait faire jusqu'à ce jour-là!
Il fallait tout
trouver.
Il y a eu une collection
de gars, comme moi, qui se sont établis à cette
époque avec l'idée de tout transformer.
On a bien vu qu'il
fallait commencer par un bout.
On a commencé
par faire des tracts. Et ça n'est pas rien. Des tracts
sur les conditions de travail, sur les licenciements.
Il y avait beaucoup
de licenciements dans la région.
Ensuite, on a introduit
la question des salaires.
Il y avait des gosses
qui gagnaient 17 000 francs par mois!
Oui, je pensais
qu'il suffisait de faire des tracts sur ces questions-là
pour que les gens comprennent qu'il faut faire la révolution.
D'ailleurs, si moi
j'ai pu faire quelque chose, dans les Vosges, c'est parce que
j'ai étudié le petit livre rouge.
Je le lisais seul
et je le lisais entre camarades.
Je le lisais partout,
quand j'avais un moment, chez moi, à l'usine.
Quand j'avais perdu
le nord, quand je ne savais plus quoi faire...
J'ai étudié
d'une façon particulièrement assidue trois chapitres
du petit livre rouge.
Celui qui s'appelle
ce La ligne de masse ", un autre qui s'appelle " Méthodes
de pensée et de travail ", et un autre qui s'appelle
" L'étude ".
J'avais étudié
aussi le chapitre qui s'appelle " Les communistes ".
Il n'est pas question
d'appliquer directement la pensée d'un leader politique
chinois à la réalité d'une usine française.
Il est question de comprendre!
Ainsi lorsque le
président Mao dit dans " La ligne de masse "
: "II faut tenir compte de la majorité, il ne faut
pas progresser d'une manière aventureuse, mais au contraire,
il faut toujours refléter l'avis de la masse populaire
", c'est quelque chose qu'il est extrêmement important
de comprendre.
Si on le lit chez
soi cela peut paraître dépourvu de signification,
ou bien un truisme.
Mais quand on veut
transformer la société ça prend du poids,
parce que c'est le bilan de l'expérience chinoise.
Chinoise peut-être,
mais une expérience.
On finit par savoir
par cur le petit livre rouge, mais ça n'a qu'un
intérêt limité.
Ce qui compte c'est
d'apprendre la méthode que donne Mao pour comprendre la
réalité.
Il s'agit de la
réalité chinoise mais les deux chapitres "L'étude"
et " Méthodes de pensée et de travail "
ne s'appliquent pas qu'à la Chine, ils ont une valeur
générale, on peut en tirer une méthode générale
de connaissance de la réalité sociale.
Tout à fait
scientifique mais dure à mettre en pratique parce qu'une
grande série de facteurs sont en jeu.
Les ouvriers français
peuvent lire et comprendre Mao très naturellement, je
peux en témoigner.
J'ai été
licencié parce que je " faisais de l'agitation ".
Je me suis fait
dénoncer par la C.G.T.
Ils m'ont dénoncé
en faisant circuler des tracts sur la voie publique où
ils m'accusaient d'avoir des rapports avec des individus nuisibles.
Je suis descendu
à Paris le 4 mai 1968, ce qui fait que je me suis retrouvé
sans travail jusqu'à fin mai...
Je me suis engagé
aux P. et T. le 10 juillet où j'ai travaillé pendant
seize mois.
C'était un
travail de débardeur qui consistait à charger et
décharger des camions.
Je travaillais dix
heures la nuit, de huit heures du soir à six heures du
matin. J'ai été licencié l'année
dernière, après la grève des P. et T.
Le programme général
de la révolution, la prise du pouvoir, passe par son programme
instantané.
Quand, dans l'immédiat,
on séquestre un patron, on fait faire un pas gigantesque
à la révolution.
On n'a pas besoin
de crier tout le temps à la révolution!
Le maoïsme
est une pratique.
Si la propagande
peut apporter quelques avantages, elle apporte aussi beaucoup
d'inconvénients. Il faut se méfier des formules
stéréotypées, du bourrage de crâne...
La question du
pourrissement du pouvoir du peuple dans les pays de l'Est est
une question qui préoccupe beaucoup : est-il possible
au peuple de prendre le pouvoir et de le garder?
Les ouvriers savent
qu'ils peuvent prendre le pouvoir. Ils ont entendu parler de
89, de la Commune, d'Octobre 17, ils savent.
Mais la question
qui se pose, c'est : " Une fois que les ouvriers ont pris
le pouvoir, est-ce qu'ils peuvent le garder? "
Je me souviens d'en
avoir parlé pendant une grève où les mecs
étaient sur le tas et ne travaillaient pas.
Non, je n'ai pas
donné la Chine en exemple.
Le point de vue
que j'avais adopté était : 1° la Chine, on
s'en fout; 2° on en tient quand même compte, mais seulement
comme d'une expérience qui a réussi et dont l'étude
peut nous apporter un enseignement.
On ne tient compte
de la Chine que pour l'étu-dier sur un plan scientifique.
Marx a dit : "
L'ouvrier est le personnage le plus conscient de la planète.
"
Qu'est-ce que ça
veut dire?
Prenons l'exemple
de la Révolution culturelle, du problème que Mao
a voulu résoudre par la Révolution culturelle.
L'ouvrier l'a constamment
dans la tête : c'est le problème des intellectuels.
L'ouvrier sait très
bien qu'il y a des ingénieurs et qu'ils sont utiles.
Il dit : "
Le pouvoir, nous savons que nous pouvons le prendre, d'accord,
mais une fois que nous aurons le pouvoir nous aurons besoin des
ingénieurs, nous ne pouvons pas nous en passer! "
Le problème
de la transformation des ingénieurs, l'ouvrier l'a constamment
dans la tête!
Ce qu'il cherche,
en fait, c'est la solution de la contradiction entre travail
manuel et travail intellectuel.
Bien sûr,
il ne le formule pas comme ça, il ne le formule pas comme
un intellectuel. Il sait simplement qu'il y a là quelque
chose qui l'angoisse.
J'ai vu vingt mecs,
les yeux et les oreilles grands ouverts pendant que je leur exposais
comment on pouvait envisager de résoudre cette contradiction
du travail manuel et du travail intellectuel.
Et ça n'est
pas quelque chose de simple.
Comment peut-on
résoudre cette contradiction?
Cela demande des
explications compliquées...
Le président
Mao dit : " Le peuple, c'est la force motrice de l'histoire
universelle ", eh bien, j'ai appris, moi, par l'expérience,
qu'il disait vrai.
Avant que j'en aie
fait l'expérience, je disais : " Oui, c'est vrai
parce que le président Mao l'a dit! "
Maintenant, je dis
: " Ceci est vrai.
D'ailleurs le président
Mao l'a dit."
Dans une usine,
en Chine, il n'y a pas de contremaîtres, les ouvriers se
baladent comme ils veulent, ils travaillent, ils produisent,
et ils produisent à une cadence supérieure aux
nôtres en faisant moins d'efforts.
Pourquoi?
Parce qu'ils produisent
intelligemment et en améliorant le système.
Comme ils possèdent
à la fois le pouvoir de production et la connaissance
(et sans cesse ils accumulent de la connaissance, ils font en
permanence des stages de perfectionnement), ils améliorent
constamment la production.
Non, je n'ai pas
été en Chine, mais ça ne fait rien, le mécanisme
n'est pas difficile à comprendre : la base de la société
bourgeoise c'est l'opposition entre travail manuel et travail
intellectuel, le travail manuel étant la propriété
exclusive du prolétariat, ouvriers et paysans.
Le travail intellectuel,
la propriété exclusive de la bourgeoisie, grande
et petite.
La petite-bourgeoisie
est une classe qui n'a pas d'existence en tant que telle, c'est
une classe que la grande bourgeoisie a créée parce
que, numériquement, elle n'était pas suffisante.
Donc, pour faire
quoi que ce soit, inventer une machine, transformer un processus
de production, construire une maison, il faut le faire à
travers cette contradiction : d'un côté il y a des
gens qui pensent, de l'autre des gens qui agissent.
Ceux qui agissent
n'ont pas la pensée et ceux qui pensent n'ont pas l'action.
Un minimum de réflexion
montre que c'est absurde et que ça ne peut pas bien fonctionner
: ceux qui agissent le font d'une manière incohérente,
puisqu'ils n'ont pas la pensée - et ceux qui pensent,
pensent d'une façon incohérente, puisqu'ils n'ont
pas la pratique!
Ils pensent sur
la base d'une pratique abstraite : la pratique des autres.
Mais la pratique
des autres, hein, ça n'est pas très utilisable!
Prenons un exemple concret : les machines-outils.
Compare une machine-outil
fabriquée en France ou aux Etats-Unis à une machine-outil
fabriquée en Chine.
La machine chinoise
a un tiers de pièces en moins!
Un tiers de pièces
en moins pour une machine à rectifier les surfaces ou
une fraiseuse...
Je le sais à
travers ce que je peux savoir des machines!
Bien sûr
je n'ai pas été compter les pièces.
Mais peu importe
que ce soit un tiers ou quatre cinquièmes! Ce qui compte
c'est la base objective : en Chine les machines sont produites
par les ouvriers, et les ouvriers participent à la conception
des machines.
Un ouvrier qui depuis
quinze ans travaille sur une machine à fraiser et la répare
lui-même a une connaissance physique de sa machine, il
la connaît dans l'épaisseur!
Il a une connaissance
de la résistance de ses matériaux qui n'est pas
numérique, qui est matérielle; il sait à
quel degré d'effort telle ou telle pièce pète.
Il sait que telle
pièce ne sert à rien, que tel système de
pièces peut être réduit en une seule pièce.
Il sait cela non
pas sur la base d'une réflexion théorique en bureau,
mais parce que depuis quinze ans il fait marcher sa machine.
Si, en même
temps, il possède la connaissance scientifique et technique,
celle d'un ingénieur, il va pouvoir construire une machine
infiniment mieux adaptée que celle qu'on fabrique en France
ou aux États-Unis.
En Chine, il n'y
a pas d'ingénieurs.
Il n'y a plus non
plus d'ouvriers tels qu'ils sont conçus jusqu'à
présent; ce qui apparaît, c'est un nouvel homme
: l'ouvrier-ingénieur.
Un ouvrier chinois
n'a rien à voir avec un ouvrier français.
L'ouvrier français
se cantonne dans la production, - l'ouvrier chinois, lui, s'empare
de la production et de la réflexion sur la production,
c'est-à-dire de la connaissance.
Il dirige et produit
en même temps, il dirige sa propre production.
Si demain nous prenons
le pouvoir, il est évident que les ouvriers ne pourront
pas diriger les usines Renault. Il faut les ingénieurs.
Dans l'état
actuel, l'ouvrier n'a pas les connaissances techniques nécessaires.
Il faut donc transformer
l'ensemble du processus : la gestion des usines et les ouvriers
eux-mêmes.
Le régime
capitaliste est basé sur le gaspillage, la gabegie.
On pourrait trouver
en France des milliers d'exemples concrets.
Dès que tu
veux faire quelque chose quelque part, tu tombes là-dessus
: le gâchis!
Tu tombes sur la
bureaucratie, - la bureaucratie qui s'occupe de transmettre la
pensée des individus qui pensent aux ouvriers qui produisent.
La pensée
se fait dans un coin, comme celle du bon Dieu, et un système
de transmission compliqué, la bureaucratie, transmet cette
pensée aux ouvriers crétins qui produisent et ne
pensent pas!
Qui n'ont pas le
droit de penser, et qui n'ont pas le droit à la connaissance!
C'est absurde! Ça ne vaut rien!.
Ça n'aboutit
qu'à des saloperies!
Dans certaines usines,
aux Etats-Unis, il y a des boîtes à idées.
Si les ouvriers
ont une idée qui permettrait d'améliorer telle
machine ou tel processus de production, ils n'ont qu'à
l'écrire, et glisser leur idée, avec leur nom,
dans la boîte à idées.
Si leur idée
est retenue, ils recevront une prime.
Mais ça ne
marche pas parce que ça repose sur une récompense
en argent : " Ayez des idées, on vous les achètera.
"
Or, tu ne peux pas
améliorer fondamentalement quelque chose que tu n'as pas
envie d'améliorer!
Quand tu es dans
un système oppressif et que tu as le contremaître
aux fesses, que tu te sens encerclé, coincé partout,
même dans ton logement, tu n'as pas envie d'améliorer
cette société dans le sens du patron, dans l'intérêt
du patron!
Même si tu
ne le penses pas vraiment, tu es contre.
C'est une réaction
de base : tu n'as même pas besoin de réfléchir,
instinctivement tu ne fais rien.
Ce qui fait que
dans les boîtes à idées américaines,
il n'y a rien! Pour que les ouvriers aient des idées,
il faut qu'ils se transforment, et pour qu'ils se transforment,
il faut que le système de gestion se transforme en même
temps, c'est-à-dire qu'on passe d'un système de
gestion capitaliste à un système de gestion socialiste
avancé.
Je dis bien : avancé,
parce qu'il y a des régimes socialistes non avancés
qui continuent d'opposer le travail manuel et le travail intellectuel,
qui continuent d'avoir des ingénieurs qui pensent, opposés
aux ouvriers qui ne pensent pas.
Sous des formes
différentes, tout le monde a envie que ça change!
Un copain est instituteur,
il a fait une sorte de sondage : il a fait faire aux gosses une
dissertation sur le sujet: " Imaginez la société
dans vingt ans, après la révolution. "
Ce qu'il a obtenu
est fantastique : ça nage dans l'utopie mais c'est plein
d'idées.
Évidemment,
il y en a qui disent : dans vingt ans tout le monde se baladera
en hélicoptère et il n'y aura plus de vélos!
Ils lisent les bandes
dessinées et ce genre de choses, et c'est sans intérêt.
Mais du point de
vue social, c'est-à-dire du point de vue du rapport entre
les hommes, ce qu'ils disent est plein d'enseignement : tous,
d'une façon ou 'une autre, écrivent : "Dans
vingt ans les hommes s'aimeront et il n'y aura plus de patrons.
"
Tous ont conscience
de vivre dans une société d'oppression.
Ils n'emploient
pas forcément le mot " patron " mais ils trouvent
une manière de le dire et de souhaiter que cela n'existe
plus!
Oui, les ouvriers
veulent que ça change, et cela commence par les gosses.
On ne peut pas être
opprimés et ne pas vouloir que ça change.
A moins d'être
insensibles et les gens insensibles, ça n'existe pas!
Des formes d'oppression
plus ou moins pesantes?
Ça veut dire
quoi? Que certains ont un frigidaire, une bagnole?
Nous aussi on est
pour l'aspirateur, la moquette, la machine à laver!
Ce n'est pas ça
qui empêche de sentir l'oppression. Ce qui peut freiner
les gens, c'est autre chose : la peur de la révolution.
La révolution
c'est du domaine de l'idéologie pure, et un type qui entend
parler de la révolution par Le Figaro, c'est normal qu'il
en ait peur!
Du point de vue
de l'organisation révolutionnaire maoïste, il y a
d'abord les étapes de la connaissance et les étapes
de la transformation de la société.
Pour nous, l' "
établissement " n'a jamais été une
mesure de purification, c'est une mesure politique.
Si on envoie les
intellectuels s'établir, ça n'est pas pour qu'ils
se transforment, c'est pour connaître la réalité,
parce qu'on en est à l'étape de la connaissance
et qu'on a besoin d'avoir le contact avec les masses.
Que les intellectuels
qu'on envoie à l'usine en reviennent changés, c'est
une excellente chose, nous en sommes enchantés!
Ils ont un autre
comportement dans la société. Ils ont moins les
défauts des intellectuels.
Ce sont des gens
qui deviennent stables, en qui on peut avoir confiance.
Un vieil établi,
non pas un établi de quinze jours ou de six mois, mais
un établi de plusieurs années est un individu sur
qui on peut compter.
Parce qu'il faut
bien voir que lorsqu'on sort,d'une confortable vie bourgeoise
ou petite-bourgeoise et que l'on se retrouve à l'usine,
au début, cela tire sur la colonne vertébrale!
Il y a aussi des
gens que cela casse.
On sait qu'on peut
compter sur eux pour certaines choses, mais on sait qu'ils ne
sont pas solides.
S'ils ne résistent
pas à l'exploitation du patron, il est évident
qu'ils ne résisteront pas à la répression,
ni aux tempêtes infiniment plus violentes qui peuvent s'abattre
sur eux un peu plus tard.
L'exploitation du
patron est une chose tangible.
On la ressent à
chaque minute!
C'est bien simple,
dès qu'on travaille il y a une cadence et, quel que soit
le travail qu'on fait, il faut la suivre tout le temps.
Rien que ça,
c'est l'exploitation.
Quand on est crevés
et qu'il faut continuer à soulever des trucs trop lourd
c'est l'exploitation.
Et en plus on a
le petit chef sur le dos!
Le " petit
chef ", c'est celui qui brime les autres.
Ça peut aussi
bien être le père de famille.
En plus de l'exploitation
par les cadences, de l'exploitation par le petit chef, il y a
l'exploitation idéologique : on vous traîne dans
la boue.
Et si on veut en
sortir, il y a une autre forme d'exploitation, c'est la faim.
Je ne dis pas que celui qui ne résiste pas à l'établissement
n'est pas un maoïste : chacun sa tâche.
Dans la guerre du
Vietnam, tout le monde participe.
Mais on ne demande
pas aux vieilles femmes de quatre-vingt-dix ans de porter le
fusil mitrailleur, à la femme enceinte de lancer des grenades
et aux hommes de vingt-cinq ans de raccommoder des uniformes...
Chacun sa tâche.
Nous en sommes en
France, à l'étape idéologique.
Ça veut dire
que jusqu'en 1968, grosso modo, les masses étaient sous
la domination de l'idéologie de la capitulation, soutenue
par les syndicats.
Cela correspondait
aussi à une situation économique.
Depuis 1968, il
y a une idéologie nouvelle : celle de la résistance
qui est en train de balayer l'idéologie de la capitulation.
Cela veut dire casser
la gueule aux petits chefs, les séquestrations, les sabotages,
les combats de rue.
On ne cède
plus, voilà.
Cette révolution
idéologique passe par des époques, des phases :
en 1970, il y a eu une vague considérable de séquestrations.
Avec la forme qu'elle
prend à l'heure actuelle, la séquestration est
une forme nouvelle de lutte : ça devient une arme.
C'est en 1936 qu'on
a inventé la grève avec occupation d'usine.
A ce moment-là
aussi, on inventait une arme nouvelle dans la lutte contre le
patronat.
Cette arme, en fait,
les syndicats lui ont enlevé toute son efficacité
et en plus la bourgeoisie a élaboré un système
de lois qui vient s'ajouter à la pression des syndicats
et rend cette arme inutilisable.
Dans beaucoup d'usines,
à Nantes-Batignolles, par exemple, les ouvriers méprisent
cette sorte de grève qui, pour eux, revient à une
sorte de capitulation.
Maintenant, la nouvelle
arme, c'est la séquestration. Le peuple français
est un peuple très expérimenté révolutionnairement.
Il a un héritage
révolutionnaire considérable.
Cela se voit à
des inventions de masse comme celles-là.
Nous, les maoïstes,
nous sommes les seuls à avoir participé à
des séquestrations; sur les trente qui ont eu lieu, nous
avons participé à deux, du moins l'année
dernière.
Cette année
on a progressé.
Mais ce sont les
masses qui ont inventé la séquestration.
Sans les masses,
nous les maoïstes, on n'est rien.
Si on fait du bon
travail, si on est astucieux, intelligents, si on lit attentivement
les uvres du président Mao, on peut arriver à
suivre les masses, à les comprendre et à réajuster
notre tir.
Mais c'est difficile
: les masses progressent par bonds.
Chez Renault, tout
a progressé par bonds.
Si on a un bon système
de travail, si on colle bien à la réalité
des masses, après chaque bond on peut arriver à
réajuster son système de travail.
Mais, d'une façon
générale, les masses sont en avant de nous, elles
nous dépassent, elles vont plus vite que nous.
Si on marche bien,
tout ce qu'on peut espérer c'est de ne pas trop se laisser
distancer et parfois les rattraper pour un temps.
Constituer un parti?
La première
citation du petit livre rouge est : " Le noyau dirigeant
de notre cause, c'est le parti communiste chinois. "
De même que
la bourgeoisie a un quartier général, de même
il faut que le prolétariat ait un quartier général.
Ce quartier général,
c'est le prolétariat qui le construit.
Si nous sommes quelque
chose, nous sommes l'émanation du prolétariat.
Ou du moins, nous
avons à le devenir, parce qu'au départ on ne l'est
pas.
Il faut donc détruire
ce que nous sommes, pour le remplacer.
Il est courant de
dire : " Marcellin a détruit la Gauche Prolétarienne.
"
Mais non, Marcellin,
c'est nous qui avons détruit la Gauche Prolétarienne!
C'est une organisation
glorieuse, mais qui avait fait son temps. Notre tâche c'est
de détruire la Gauche Prolétarienne, ou ce qui
l'a remplacée, et de construire le parti.
Le parti c'est l'émanation
du prolétariat et la Gauche Prolétarienne, c'était
une première tentative pour y parvenir.
Pour parvenir à
construire le parti.
Nous ne tenons pas
à être une élite, une avant-garde.
Au mot " avant-garde
", nous préférons d'ailleurs la formule de
" poisson dans l'eau ".
Avant-garde, ça
coupe - nous, nous voulons souder, unir.
Et pour cela il
faut partir de la réalité.
La réalité
c'est que les masses populaires, les ouvriers, les paysans, les
intellectuels se divisent en trois catégories : un petit
groupe d'éléments avancés, une grande masse
d'éléments moyens, des éléments arriérés.
Notre tâche
c'est d'organiser les éléments avancés,
qui constituent le parti.
Mais les éléments
avancés aujourd'hui ce n'est pas ceux de demain, cela
bouge, cela varie.
Les éléments
dits arriérés, nous tâchons de les gagner,
de les amener à nous parce cpie, en général,
lorsqu'il s'agit d'ouvriers, ce ne sont pas des fascistes, mais
seulement des gens qui ne comprennent pas.
Quand il s'agit
réellement de fascistes, généralement des
intellectuels, il s'agit à ce moment-là de les
chasser, de les isoler, les rendre impuissants, incapables de
faire du mal, incapables de nuire à la cause du peuple.
Si on n'a pas encore
constitué un parti, ça n'est pas parce qu'on est
contre le parti, c'est parce qu'on considère que le temps
n'est pas encore venu de le construire.
Le parti, pour moi,
c'est la capacité d'élaborer une politique révolutionnaire
conséquente, c'est-à-dire de lier le particulier
au général, le programme immédiat au
programme à long terme, et de mobiliser réellement
les masses.
Un parti n'est jamais
qu'une minorité.
Mais la différence
entre notre parti et les autres partis, c'est que notre objectif
permanent n'est pas seulement la construction du parti, c'est
sa destruction.
Nous construisons
le parti pour le détruire.
Ceux qui montent,
qui font le parti, ce sont les éléments prolétariens
les plus indifférents à eux-mêmes et les
plus liés à la cause du peuple et à ses
intérêts.
Ensuite, ils détruiront
le parti, à terme.
Le parti, on n'en
veut pas.
Notre objectif final,
c'est sa destruction radicale.
Nous héritons
d'une situation instituée par la bourgeoisie : l'opposition
entre travail manuel et travail intellectuel.
Le peuple doit s'emparer
non seulement du pouvoir mais aussi de la connaissance.
On ne s'empare pas
de la connaissance du jour au lendemain, c'est regrettable, mais
un décret ne suffit pas.
Il faut une très
longue période pendant laquelle le pouvoir du peuple n'est
pas assuré.
C'est ce qui s'est
passé en Russie après Octobre 17 : le peuple avait
le pouvoir mais pas la connaissance.
Et ce qui a fini
par devenir dominant, à la longue, c'est l'aspect bourgeois
de cette révolution prolétarienne.
Staline ne connaissait
pas le danger, ou s'il le connaissait, il ne le maîtrisait
pas et c'est pourquoi son parti est devenu un parti révisionniste.
Mao Tsé-toung,
aujourd'hui, connaît le danger, parce qu'il y a eu, avant
la leur, l'expérience soviétique.
En France, le P.C.F.
a dégénéré.
Au début
c'était un parti révolutionnaire. Il l'a été
pendant la Résistance. Il défendait réellement
les intérêts du peuple et il était reconnu
en tant que tel par le peuple.
Maintenant c'est
objectivement un allié de la bourgeoisie.
Pour atteindre le
peuple, les discours ne servent à rien.
Il n'y a que la
pratique qui compte.
Les actions.
Les ouvriers se
transforment sur la base de leur pratique et non sur la base
des discours qu'on leur fait, maoïstes ou autres.
Ce quinereflète
pas leur pratique ne sert à rien. La preuve, les journaux
bourgeois.
Regardez au contraire
l'action de La Cause du peuple.
Qu'est-ce que c'était
La Cause du peuple?
Un petit journal
de quatre ou huit pages, mal fait, mal écrit, où
il n'y a que quelques articles intéressants.
Mettez-le sur la
balance avec de l'autre côté la masse de la propagande
bourgeoise, par la radio, par la T.V., tout.
Eh bien c'est La
Cause du peuple, mal foutue, interdite, sans fric, avec ses photos
de travers, qui pénètre.
Pourquoi? Parce
qu'il y en a un qui dit la vérité de la pratique
ouvrière, et les autres pas.
Il y a un proverbe
fasciste qui dit : Calomniez, calomniez, il en restera toujours
quelque chose.
Mais les fascistes
sont des ânes bâtés, et ce qu'ils disent n'est
pas vrai, la calomnie ça ne fonctionne pas.
Le mot d'ordre
révolutionnaire, c'est : Calomniez, calomniez, il n'en
restera rien.
En Mai 68, pour
la dernière fois, la masse des ouvriers a encore fait
confiance aux syndicats et s'est mise en grève.
Pour moi, c'a été
le sommet de l'action syndicale et sa mort. Toutes les couches
du peuples ont tiré la leçon, elles ont tiré
la leçon après un paroxysme.
On ne peut pas aller
plus loin, elles le savent.
Après Mai
68, c'est une nouvelle époque qui s'ouvre dans l'histoire
du syndicat. Une nouvelle époque à partir de laquelle
les syndicats apparaissent comme des organes réactionnaires.
Je parle de la direction,
je ne parle pas du syndicaliste de la base, du pauvre mec qui
peut encore y croire ou pas, qui peut ne pas avoir compris, être
en retard, alors que les larges masses, elles, ont compris.
Il y a une différence
entre les larges masses et les individus.
Ça n'est
pas parce que les larges masses ont compris que l'ensemble des
individus qui composent les masses ont tous compris.
C'est dans les actions
de masse qu'on sent la masse, ce n'est pas dans les actions des
individus, ou dans les déclarations des individus.
Je la sens dans
les séquestrations, je la sens dans le milieu paysan,
chez les intellectuels, à l'usine.
Je sens qu'ils pensent
: " Maintenant, les gars, c'est fini!
Plus rien ne passe!
Chaque fois qu'il
y a quelque chose, paf! on réagit, on résiste,
on ne cède pas. "
Je le sais, bien
que je ne sois pas à l'usine pour l'instant.
A l'usine, ça
n'est pas le travail qui est horrible, c'est l'oppression. Le
régime des petits chefs.
En ce moment [à
La Cause du Peuple], je le dis sincèrement, je suis plus
épuisé que lorsque je travaille à l'usine
ou dans le bâtiment.
A l'usine, bon,
quand j'ai fini je rentre chez moi, vers les cinq ou six heures,
j'ai un coup de pompe d'une demi-heure, parce que j'ai trimbalé
des briques toute la journée, mais après je suis
en pleine forme, je récupère, je sais où
je vais, je suis gai.
Tandis qu'en ce
moment, je suis malheureux, j'ai 10 de tension.
Le travail que je
fais, il faut bien le faire, c'est indispensable, mais je trouve
que ce n'est pas supportable de vivre comme ça dans une
équipe intellectuelle.
Le seul truc intéressant,
c'est le reportage, foutre le camp en province, mais je suis
lié par le travail qu'on m'a donné.
Je n'aime pas être
à Paris, coupé des masses.
Même une demi-journée
avec des ouvriers, manger avec eux, c'est quelque chose! Il y
a trois manières de se lier aux niasses, dit Mao, y aller
à cheval et regarder du haut de son cheval, descendre
de son cheval et cueillir des pâquerettes et puis il y
en a une troisième qui s'appelle ce s'établir "!
Après une
journée de travail en usine, il est facile d'avoir la
force de sortir et de faire encore du travail politique.
Quand tu vis toute
la journée avec une espèce de bouledogue, de chien
hargneux, et que tu te retrouves le soir avec des gens avec qui
tu aimes vivre et discuter, tu as toutes les forces!
Ils te donnent
leur chemise, les gars!
Ils se l'enlèvent
du dos pour te la donner!
A une époque
où on n'avait pas de quoi bouffer, chaque fois qu'on allait
chez les gens, ils ne posaient pas de question, ils ne disaient
rien, mais ils savaient qu'il fallait qu'on mange!
Ils en avaient besoin,
de leur nourriture, mais ils nous obligeaient à manger.
Entre les maoïstes
et les travailleurs, il n'y a pas de liens privilégiés.
Si un jour un individu
travaille pour les masses et le lendemain il change, eh bien,
il n'est plus avec nous.
C'est tout.
C'est en ce sens-là
qu'il n'y a pas d'amitié.
Les choses et les
individus se transforment : un jour, on peut être révolutionnaire
et un autre jour avoir cessé de l'être.
On ne reçoit
pas sa carte de révolutionnaire une fois pour toutes comme
on reçoit son C.A.P. de maçon!
C'est du J.-J.S.-S.
[Jean-Jacques Servan Schreiber] de dire que la lutte des classes
est finie!
Sur la base de quels
faits, la lutte des classes aurait-elle disparu? Si tu vois ces
gens-là demande-le-leur : " La lutte de classes existait
hier, elle n'existe plus aujourd'hui, sur la base de quoi?"
De l'intérêt
national?
Ça c'est
la propagande de la bourgeoisie depuis qu'elle existe mais il
y a toujours eu exploitation des ouvriers par les patrons et
la lutte des classes n'existera plus que le jour où les
patrons auront cessé d'exploiter les ouvriers!
Si ça n'est
pas par l'exploitation, comment la bourgeoisie explique-t-elle
les événements de Mai, Ferodo, Batignolles, les
révoltes des paysans ou des viticulteurs?
Dans les usines,
la lutte des classes on la traite concrètement, pas d'un
point de vue théorique. On lutte concrètement contre
l'0ppression.
Si les patrons veulent
exploiter, il faut bien qu'ils oppriment parce que personne ne
se laisse exploiter volontairement.
S'il n'y avait pas
d'oppression, les ouvriers se révolteraient contre l'exploitation
et briseraient tout.
C'est l'oppression
qui maintient l'exploitation.
Mais oppression
= révolte.
C'est un mécanisme
permanent. Ce n'est pas contre le travail que se révolte
l'ouvrier.
Le travail est libérateur.
Ce qui n'est pas
libérateur, c'est l'oppression.
12 février 1971
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