Spécial PKK -partiya karkeren kurdistan

Article paru dans Front Social

 

La parution d'une photo dans le journal turc " Cumhuriyet " (" a République ") a fait scandale. On pouvait y voir trois blondes en tenue militaire, chacune ayant une mitraillette.

Il s'agissait de deux allemandes et d'une finlandaise ayant rejoint les rangs de l'ARGK (l'armée de libération populaire kurde).

Par la présence en France, en Allemagne, en Belgique et en Suisse d'une forte communauté kurde et turque, et par l'implication des Etats ouest-européens, particulièrement français et allemand, le " problème " kurde (et turc) a une très forte résonance. L'internationalisme pratique en faveur du mouvement de libération nationale kurde a donc été très important, notamment en Allemagne. Sauf en France.

Et vu que nous en avons marre de nous retrouver à quelques unEs à aider les camarades, voilà un grand explicatif du PKK, et un bref rappel des autres organisations (la plupart étant présente en France par le biais de sympathisantEs).

Petite histoire du PKK

" PKK " sont les initiales de " Partiya Karkeren Kurdistan ", le Parti des Travailleurs du Kurdistan. Le noyau dur de cette organisation provient d'un groupe étudiant d'Ankara, fondé par Abdullah Öcallan, dit " Apo " (" oncle " en turc).

Aujourd'hui encore Apo (voir la photo) est le leader "incontesté " du PKK, sa photo est toujours présente dans les activités politiques du PKK.

Ce groupe étudiant, fondé en 1973/1974, considérait que le peuple kurde était colonisé, et commença à développer sa propagande en Turquie. Le PKK fut fondé en 1977. Il est à noter - ceci pour se faire bien voir - qu'à la kurde on prononce " pékéké ", et non pas " pékaka ".

Le prononcer à la kurde amène toute de suite beaucoup de sympathie chez les kurdes.

Officiellement néanmoins le Parti fut fondé le 27 novembre 1978. Dans les textes théoriques du PKK la période allant de 1973 à 1978 est considérée comme la " phase idéologique ". Le PKK tenta dès sa fondation de mener des actions armées dans les campagnes kurdes, mais la répression puis le putsch militaire de 1980 les freina aussitôt.

Le putsch força les cadres connus à l'exil, mais contrairement à la gauche " turque " le PKK s'installa au Liban, afin de permettre, par la proximité géographique, de revenir le plus vite possible. On notera d'ailleurs que des militantEs du PKK se sont engagéEs dans des organisations palestiniennes.

En 1981 la première conférence du PKK décida de l'envoi d'unités armées au Kurdistan : ce fut la fondation de la HRK (Unité pour la Libération du Kurdistan) qui deviendra l'ARGK (Armée Populaire de Libération kurde).

Une date marquante est le 15 août 1984, où deux stations militaires furent attaquées et deux grands villages " libérées ". A partir de 1987 la lutte armée fut intensifiée, l'ARGK allant se composer de plusieurs milliers de personnes.

Le 21 mars 1985 ce fut la fondation de l'ERNK, c'est-à-dire du Mouvement de Libération Nationale du Kurdistan, qui s'occupe de développer la politique du PKK dans les domaines culturels, sociaux, etc. Le succès fut immense chez les Kurdes de Turquie, qui firent de nombreux soulèvement (les "Serhildan ".

Les objectifs du PKK

Le PKK a par trois fois annoncé un cessez-le-feu afin de résoudre pacifiquement le " problème " kurde : en 1993, en 1995 et enfin en aôut 1998. A chaque fois l'Etat turc a rejeté tout pourparler avec des " séparatistes ".

Pourtant le PKK ne parle aujourd'hui plus d'indépendance, mais bien seulement de fédération.

Rien que cela est refusé. L'Etat turc nie l'existence du peuple kurde ; les Kurdes sont en tout et pour tout des " Turcs des montagnes ". Parler kurde dans la rue devant des militaires est extrémêment risqué, chanter en kurde peut amener en prison.

Plus de 2000 villages ont été rasé ; aujourd'hui beaucoup de Kurdes vivent à l'Ouest de la Turquie dans les bidonvilles d'Ankara ou d'Istanbul, à plusieurs centaines de kilomètres de leur lieu de naissance d'où ils/elles ont été chassé.

L'idéologie du PKK

" Notre Parti s'est formé dans les années 70 comme mouvement à la fois socialiste-révolutionnaire et de libération nationale " (programme du PKK, 1995).

Le PKK s'affirme issu de la grande vague des mouvements de libération nationale d'Asie, d'Amérique latine et d'Afrique. Le PKK se veut marxiste, et est organisé selon les principes léninistes du centralisme démocratique.

Il est très difficile de devenir membre du PKK (comme globalement des organisations marxistes-léninistes).

Il y a un test de six mois, et il doit y avoir l'approbation de responsables du comité central. Une formation à la guérilla de trois mois est effectué au Liban à l'académie Mahsun-Korkmaz, où jusqu'à 300 personnes peuvent étudier. Les unités armées (les " mangas ") sont composées de 12-15 personnes et élisent leurs commandantEs.

Le PKK voit en la contradiction nationale la contradiction principale, l'objectif est une révolution démocratique contre l'impérialisme et la classe compradore (c'est-à-dire les grands propriétaires terriens ).

Le PKK veut un Etat kurde. Dans les zones libérées il est interdit de regarder les chaînes d'Etat, c'est d'ailleurs pour cela qu'une chaîne de télévision kurde, MED-TV (les Kurdes sont en fait les Mèdes d'il y a 2000 ans) émet depuis Londres.

Les femmes, le PKK et le Kurdistan

Nous avions publié dans le numéro 2 de notre revue l'interview d'une membre de l'armée des femmes, composées de plus d'un millier de femmes. Il faut en effet savoir que la politique de la libération de la femme est extrémement avancée au Kurdistan, ou plus exactement dans les structures de l'ERNK.

Le PKK comprend la libération de la femme comme une " révolution dans la révolution " ; rien que dans les associations présentes en Europe il est aisé de voir que les femmes ont un plus grand rôle que par exemple dans les mêmes associations des groupes révolutionnaires " turcs " (même s'il est vrai que le PKK a des cadres en Europe, ce que n'ont pas les autres groupes, entièrement basés en Turquie ).

La guerre des kurdes entre eux/elles

L'un des grands problèmes du peuple kurde est sa division historique, qui est une des raisons pour laquelle il n'a jamais eu d'Etat. Il existe en effet deux autres grandes organisations kurdes.

Si le PKK est incontesté chez les Kurdes de Turquie, le KDP (Parti Démocratique du Kurdistan), conservateur, est très fort en Irak et entend former une république autonome kurde sans dépasser les frontières de l'Irak. D'où la convergence d'intérêts avec la Turquie, celle-ci entendant conquérir des territoires pétroliers à ses voisins.

Il existe également une scission du KDP, le PUK (Union Patriotique du Kurdistan), qui est aujourd'hui assez proche du PKK (contrairement à il y a quelques années). Il faut dire que la sphère d'influence du PKK est toujours grandissante, et qu'il a même annoncé que dans le Kurdistan du Sud (le Kurdistan irakien) une armée alliée au PKK s'est organisée.

Le PKK en Europe

La politique du PKK est très différente selon les pays et la dimension de la communauté kurde. Le PKK entretient d'excellentes relations avec le monde social-démocrate, notamment Michel Rocard par exemple.

Le PKK a ainsi quasiment des ambassades en Autriche et en Scandinavie ; en Autriche le PKK manifeste le 1er Mai avec le Parti Social-Démocrate (qui est au pouvoir avec la droite dans une grande coalition).

Dans tous ces pays le PKK tient profil bas, tout comme en France d'ailleurs où il mise beaucoup sur le travail dans le domaine des Droits de l'Homme (avec Danielle Mitterrand).

Tout autre a été et est la situation en Allemagne, où le nombre de Kurdes est également plus important.

Le début des années 90 a été marqué par des manifestations, des grèves de la faim, des occupations d'autoroutes (finissant notamment une fois en bataille rangée avec la police), attaques au coktail molotov de magasins turcs ou de représentations officielles de l'Etat turc. Il y eut même deux femmes s'arrosant d'essence et se mettant le feu.

Le PKK avait à l'époque accusé l'Allemagne de fournir en armes la Turquie, notamment avec des tanks de l'ex-RDA (ce qui avait permis à l'Etat allemand de contourner la loi européenne interdisant les ventes d'armes devant être utilisé au Kurdistan. Dans le même genre la France a offert des milliers d'armes pour que les " essaient ").

La répression fut immense : interdiction des associations ; porter un badge PKK ou ERNK, avoir un drapeau PKK/ERNK dans une manif ou crier " vive Apo ! " sont des actions interdites et condamnées.

Il y eut ainsi 200 prisonnierEs politiques de l'ERNK en Allemagne ; chaque manif fut attaquée, à Hanovre un jeune fut tué par un flic alors qu'il collait une affiche ERNK.

Le PKK cessa alors toutes ses actions en Allemagne, préférant relancer une campagne en direction des Kurdes seulement. Il y a quelques semaines l'Etat allemand a en conséquence affirmé que le PKK n'était plus considéré comme " terroriste " en Allemagne, mais seulement comme " criminel ".

Öcallan et l'opportunisme

Öcallan, le secrétaire général du PKK, s'est récemment illustré de manière très négative.

Il a ainsi discuté avec le politicien allemand Lummer, qui est à droite de la droite et spécialiste de la sécurité intérieure. La volonté de constuire une nation prend le pas sur le caractère démocratique, et certains liens avec des nationaux-révolutionnaires ont pu être établi.

On retrouve cette conception nationaliste dans un interview au Figaro il affirme que " Mao Zédong et Ho Chi Minh ont réussi parce que les Chinois et les Vietnamiens sont de grands peuples, qui ont leur histoire, leur culture et leurs structures sociales.

A nous, l'ennemi ne nous pas laissé cette chance. 90% des Kurdes ont perdu leur personnalité. Ils se sont laissés assimiler.

En plus, les Kurdes sont très arriérés. Ils sont plus arriérés que certains Africains ou que certains Peaux rouges d'Amérique ".

Apo rapproche l'autodestruction des Kurdes avec celle des " Indiens " d'Amérique victime de la colonisation, ce qui est a priori juste, mais aboutit à une vision ultra-nationaliste.

Affirmer que Mao et Ho Chi Minh (et non pas leur partis, encore le culte de la personnalité à la Apo !) ont réussis grâces aux caractères de leurs peuples est également une pure déviation nationaliste, rejettant les principes théoriques marxistes (le Parti Communiste Chinois ayant réussi grâce à la stratégie de la Guerre Populaire).

Cette tendance nationaliste prend de plus en plus d'importance chez le PKK. Le drapeau du PKK a par exemple été modifié, le marteau et la faucille se transformant en le flambeau, symbole du feu et du nouvel an kurde (le Newrosz).

On comprend en tout cas pourquoi Apo peut se comparer à Napoléon.

Le PKK et la " gauche turque "

Le terme de " gauche turque " est impropre, car tous les groupes marxistes-léninistes (les trotskystes et les anarchistes étant des groupuscules urbains) sont multiculturels, avec des Arabes, des Laz, des Turcs, des Kurdes, des Arméniens.

Le PKK accuse la gauche d'être kémaliste et de ne pas reconnaître la colonisation du Kurdistan.

En pratique le PKK montre ici un grand opportunisme. Une telle critique peut en effet s'appliquer avant tout au DHKP-C , qui veut une Turquie multiculturelle et multinationale (dont feraient partie les Kurdes).

Or, le PKK a signé un texte en commun avec le DHKP-C, appelant à l'unité à tous les niveaux (nous avons publié le texte dans le N°7 de notre revue). Et, qui plus est, le PKK n'a rien mis en pratique et rien fait pour s'allier réellement avec le DHKP-C, qui a publié un très long texte de critique.

Le PKK accuse en fait les groupes marxistes-léninistes de kémalisme afin de récupérer les Kurdes en faisant partie. Cela est particulièrement vrai si l'on regarde le TKP(ML) , qui reconnaît ouvertement le caractère colonial du Kurdistan (son fondateur, mort à 23 ans après 80 jours de torture où il ne dira d'ailleurs rien, est même un turc ayant appris le kurde !).

Quelle solidarité avec le PKK ?

Beaucoup de camarades de R.F.A. se sont engagéEs dans les rangs du PKK et sont partiEs se battre là-bas.

Mais on ne peut pas vouloir une victoire militaire du PKK si le PKK lui-même ne le veut pas. Le PKK entend, un peu comme ETA en Euzkadi (pays basque), forcer l'Etat à des négociations.

C'est irréaliste, et en ce sens il vaut mieux soutenir les organisations révolutionnaires luttant pour la révolution en Turquie et au Kurdistan.

Le problème est qu'au Kurdistan le PKK est l'organisation la plus représentative du peuple kurde. Il s'agit donc de soutenir le mouvement de libération nationale du Kurdistan à partir de l'expérience révolutionnaire des marxistes-léninistes.

Rappelons ici brièvement (du plus grand au plus " petit ", en négligeant les autres moins importantes) les principales organisations révolutionnaires en Turquie (dont on pourra trouver les associations de sympathisants en France dans les grandes villes) :

 

DHKP-C : guévariste, méne des actions armées dans les villes et les campagnes. Considére la Turquie comme une néo-colonie contrôlée par l'oligarchie turque (le conseil national de sécurité) et les USA.
TKP(ML) : maoïste, méne la lutte armée dans les campagnes, voit en la Turquie un pays semi-féodal semi-colonial.
TKP/ML : scission de droite du TKP(ML).

MLKP : le PC marxiste-léniniste, de tendance pro-albanaise, considére la Turquie comme un pays capitaliste et prépare l'insurrection.
TIKB : l'Union des Communistes Révolutionnaires de Turquie (également pro-albanaise) considére la Turquie comme un pays capitaliste et organise surtout des groupes antifascistes.
TIKB-B : TIKB bolchévik, scission de TIKB.
Bolsevik Partizan : scission pro-albanaise du TKP(ML) en Europe, très internationaliste en Europe.