La situation en
Colombie
et la guerre de guérilla
Article
paru dans FRONT SOCIAL n°9
La moitié du pays sous contrôle,
plusieurs organisations qui luttent ensemble, des quartiers entiers
de villes sous influence de la guérilla...
La Colombie est un des pays où
les révolutionnaires sont les plus en avant dans la lutte
de par le monde. Il est important de la connaître.
D'ailleurs, la lutte guérillera
en Colombie n'a pas été inventé en tant
que telle par les organisations révolutionnaires communistes.
En fait, la violence et la résistance sont des réalités
depuis la colonisation de l'Amérique.
Ceux/Celles qui ont lu l'ouvrage
de Gabriel Garcia Marquez, "Cent années de solitude
", connaissent l'ampleur de la répression qui a eu
lieu. Une répression qui, au-delà des politiques
conservatrices ou " progressistes ", a toujours visé
le peuple. C'est pourquoi les guérillas d'aujourd'hui
sont directement issues de la résistance des masses populaires.
La période
de la guerre civile (1948-1953)
La " guerre des mille jours " (1897-1899) a été
suivie d'une brutalité absolue contre les syndicats et
les peuples indigènes. En 1928 l'United Fruit Company,
la multinationale bien connue en Amérique latine, ordonna
le massacre de centaines de travailleurs qui attendaient une
délégation pour négocier.
En 1948, c'est le politicien progressiste très populaire
et clairement marqué à gauche Jorge Elicier qui
fut assassiné. Ce meurtre fut suivi de la " violencia
" (1948-1953), une guerre civile qui coûtera la vie
à au moins 200.000 personnes.
Cette guerre se faisait évidemment au dépens des
masses, prises entre deux feux. Parmi ces masses des groupes
de paysans commencèrent à s'autoorganiser pour
assurer leur défense: c'était la naissance du premier
noyau de la guérilla.
Et, malgré la formation dans les années 50 d'un
" Frente Nacional " (les conservateurs et les progressistes
prennent le pouvoir chacun à leur tour tous les quatre
ans), les noyaux armés refusèrent de rendre les
armes. Dans les zones rurales furent fondées des républiques
indépendantes, contrôlées par le peuple.
Dans les années 60 un large
mouvement populaire de contestation se développa contre
le " Frente Nacional " et l'oligarchie.
Ce mouvement pris le nom de "
Frente Unido del Pueblo " (FUP), avec à sa tête
le prêtre révolutionnaire Camilo Torres. Des dizaines
de milliers de travailleurs/euses, d'habitantEs de bidonvilles,
d'étudiantEs et de paysanNEs se mobilisèrent contre
l'injustice sociale et l'absence de démocratie dans ce
pays contrôlé par deux partis.
Il va de soi que les républiques indépendantes
et le FUP furent les cibles de l'oligarchie. La république
paysanne de Marquetalia fut écrasée par l'armée
en 1964. Camilo Torres dut se réfugier dans les campagnes,
là où existait le premier groupe de l'ELN (ejercito
de liberacion national, armée de libération nationale).
La naissance
des guérillas
Les deux premières guérillas " modernes "
ont été fondé comme réponse immédiate
aux massacres des groupes de paysans de Marquetalia:
-des paysanNEs influencéEs par le Parti Communiste fondèrent
les FARC-EP (Forces Armées Révolutionnaires de
Colombie, armée du peuple)
-un foyer de guérilla inspirée du modèle
cubain et très bien implantée dans la résistance
paysanne à Sanatder forma l'ELN. L'ELN suivait la stratégie
de Che Guevara, et eut un grand succès lorsque Camilo
Torres eut joint leurs rangs (il tomba le 15 février 1966).
Une troisième guérilla se forma lors de la rupture
de la Chine populaire et de l'Albanie socialiste avec l'URSS:
ce fut la naissance de l'EPL (armée de libération
du peuple), fondée sur les principes de Mao-Tsé-Toung.
Cette organisation se développa très vite dans
le nord du pays.
Une guérilla
qui est seulement paysanne?
Il faut bien voir que les guérillas étaient surtout
implantées dans les campagnes. On a souvent entendu dire
que cette implantation empêchait l'accès aux villes.
En fait, il est plus aisé de mener un travail illégal
dans les campagnes que dans les villes.
Ce qui fait que le développement
de la guérilla en milieu urbain est moins large, moins
rapide et moins apparent que dans les campagnes.
Les guérillas
jusqu'à l'armistice
Les années 70 ont vu la naissance de multiples groupes
de guérilla, la plupart néanmoins sur des bases
différentes de ceux dont nous avons parlé.
Le plus important de ces groupes était le M-19, le mouvement
du 19 avril, qui fut très vite connu par ses actions (notamment
l'occupation de l'ambassade de la république dominicaine
à Bogota en 1980) et l'ampleur de son implantation dans
les villes.
Aussi, à la fin des années
70, malgré les crises et les scissions, les guérillas
formaient une menace sérieuse pour l'oligarchie. A cela
s'ajoute une grève générale massive en 1977.
Le président Turbay réagit
avec l'accroissement de la répression; les forces de sécurtié
firent " disparaître " les opposants, la torture
se généralisa dans les commissariats, de nouvelles
lois " anti-terroristes " furent promulguées.
Ce qui ne fit que renforcer la guérilla, en particulier
le M-19. Cette organisation était très forte dans
la région de Caqueta, avec une armée paysanne,
et montrait de manière spectaculaire sa présence
dans les villes de la région.
Le gouvernement conservateur de Belisario Betancur (1982-86)
sentit le danger, notamment avec ce qui se passait au Nicaragua
(avec les Sandisnistes) et au Salvador (avec le FMLN). Il proposa
ainsi un pari risqué pour casser la guérilla: une
amnestie générale des prisonnierEs politiques (y
compris ceux/celles issuEs de la guérilla) et des négociations
directes avec les guérillas.
Cela amena une scission chez ces dernières. En 1984 les
FARC-EP, le M19, et l'EPL acceptèrent l'armistice, l'ELN
refusa (et deux autres petites organisations) refusèrent.
Pour l'ELN ces propositions n'étaient que du vent.
Le mouvement
de protestation
Les années qui suivirent 1984 furent des années
chaudes. Au milieu des années 80 se forma un mouvement
de masse, composé de travailleurs/euses, de chrétienNEs,
de féministes, de noirEs, de peuples indigènes
et des habitants des bidonvilles.
De nombreuses organisations naquirent.
Des socialistes, des communistes et d'ancienNEs membres des FARC-EP
formèrent l'" Union Patriotica " (UP).
Les sympathisants de l'EPL participèrent aux élections
locales en tant que " Frente Popular "; les parties
les plus radicales du mouvement de masse formèrent: "
A Luchar! ".
Le gouvernement Betancur jouait un double jeu: se présentant
à l'opinion publique du pays et du monde comme prêt
à négocier, il organisait en sous-main la création
de nouvelles unités paramilitaires.
Et la guerre sale contre l'opposition
reprit, dans l'alliance générale de l'armée,
des services secrets, des propriétaires terriens, des
cartels de la drogue. A ceci près que les unités
paramilitaires ne se contentaient pas de massacrer les opposantEs
et les sympathisantEs de la guérilla.
Ainsi des dizaines de communautés sont contrôlées
par ces unités, particulièrement Puerto Boyaca
à Magdalena Medio (au centre de l'Etat) et les régions
ranchières de Cordoba (sur la côte atlantique) qui
sont devenues en quelque sorte de républiques indépendantes
d'extrême-droite.
La guerre sale
comme stratégie
Malgré l'armistice de 1984 des centaines de représentants
politiques du M-19 et de l'EPL furent assassinéEs. Le
candidat à la présidentielle de l'Union Patriotica,
Jaime Pardo Leal, très populaire, fut exécutée.
Les camps de la guérilla furent attaquées malgré
les accords, et les paysans et les militantEs massacréEs
dans ces régions.
L'UP a ainsi perdu 2.000 cadres depuis 1984.
En tout 30.000 meurtres sont attribués
aux unités paramilitaires. Leurs victimes: les opposantEs,
mais aussi les gays, les prostituées, les criminels, les
gamins des rues.
Depuis, on sait que ces meurtres ont été commandé
par l'armée. Les recherches des groupes des droits de
l'Homme (et de la Femme!?) et même de la justice colombienne
amènent à des gens très importants comme
Jesus Gil Colorado (chez de l'armée jusqu'en 1994) et
Farouck Yanine Diaz (ancien chez de brigade générale,
alors professeur à l'Inter-American School for Defense
Issues à Washington aux USA).
Comme en Turquie, il y eut totale impunité pour les meurtriers.
Sans la pression internationale il n'y aurait même pas
eu les recherches. Le seul général puni pour ses
crimes fut Jesus Gil Colorado, exécuté par les
FARC-EP près de Villavicencio/Meta en 1994.
1987: La Coordination
de la Guérilla Simon Bolivar
Tout cela amena la fin du processus de paix, le M-19 et l'EPL
reprenant après un an la lutte armée parce que
ne voyant plus comme la démocratisation progresserait
autrement.
En 1985 se forma une coordination nationale de la guérilla
regroupant principalement le M19, l'EPL, et l'ELN. En 1987, les
FARC rejoignent la coordination, qui prit le nom de Coordination
de la Guérilla Simon Bolivar (CGSB).
La guerre de guérilla repartit de plus belle, et s'élargit
à tout le pays, comme résultat des problèmes
non résolus. L'ELN, qui combattait sur 4 lignes de front
au début des années 80, en possédait 30
en 1990.
Les FARC-EP grandirent aussi, même si c'est en suivant
une autres stratégie.
La démobilisation
du M-19
A la fin des années 80 le mouvement de masse s'écroula,
suite à la guerre sale et la fin du monde " socialiste
". La crise se fit sentir dans les guérillas, malgré
le progrès quantitatif.
Le M-19, très affaibli entre
1985 et 1989 avec l'arrestation ou le meurtre des cadres dirigeants,
s'engagea dans un processusde négociation avec le gouvernement.
En 1991, the M19 se démobilisa, et devint un parti légal,
l'Alianza Democratica M19, qui obtint plus de 10% à ses
premières élections.
L'arrêt de la lutte armée
par le M-19 ne posa pas problème sur le plan militaire,
mais politiquement c'était lourd de conséquences.
L'" Eme " (comme on appelait
le M-19) avait obtenu une grande reconnaissance internationale
et beaucoup de sympathie dans les villes - mais était
la démonstration du grand mensonge comme quoi une guérilla
démobilisée amenait la justice sociale.
En effet, Carlos Pizarro Leongomez,
le plus important chef du M-19 et candidat à la présidentielle,
fut tué dès son retour à la vie civile.
A la base, rien ne changea sur le plan social ni celui des droits
de l'Homme (et de la Femme), ni sur celui de la guerre sale contre
l'opposition.
Un groupe para-militaire, le COLSINGUE (Colombia sin Guerrillas,
la Colombie sans Guérillas), revendiqua au fur et à
mesure l'exécution d'activistes issuEs de la guérilla.
Pourtant deux petites organisations de guérilla se démobilisèrent
en 1990, et l'EPL splita en deux groupes.
La décadence se fit sentir
dans les groupes à cause des structures autoritaires et
le manque de formation politique et idéologique.
La lutte continue
sans le M-19
La majorité du CGSB se réorganisa donc en fonction,
et aujourd'hui les FARC-EP, l'ELN et la minorité de l'EPL
continuent la lutte armée, tout en demandant l'ouverture
de négociations avec le gouvernement.
Ce qui fut fait en 1991, mais interrompu
par le gouvernement Gaviria en 1993.
Contrairement au M-19, la CGSB considère que la lutte
armée n'est pas la cause mais le résultat de la
violence contre les masses. La lutte armée est une résistance
justifiée au terrorisme de l'oligarchie.
Eduardo Pizarro, professeur de science
politique à l'Universidad Nacional de Bogota, a à
ce sujet rendu public une analyse comme quoi seulement une toute
petite partie de la violence en Colombie est due au conflit entre
l'armée et la guérilla.
La grande majorité des tuéEs
vient des " purges sociales ", de la guerre sale, de
la criminalité (qui vient elle-même de la misère).
La guérilla
en Colombie: plus forte que jamais
L'oppression de l'opposition a renforcé l'importance de
la guérilla, les perspectives légales étant
bouchées. Le seul endroit sûr pour un contestataire
en Colombie est dans la forêt avec la guérilla.
Une guérilla qui est selon
l'aveu même du gouvernement présente dans 500 des
1000 districts de Colombie. Il y a des lignes de front dans les
banlieues de Bogota, Cali, Medellin, et des milices populaires
sont actifves dans les quartiers pauvres. Les FARC-EP ont également
des unités irrégulères à Bogota même.
A la campagne la guérilla
assume le pouvoir révolutionnaire, avec un budget, un
contrôle des maires, etc.
La lutte a pris la forme d'un gouvernement
alternatif et d'une force militaire pour le protéger.
La guérilla est en Colombie
la seule garantie de la démocratisation.
Ce que les U$A ont bien compris. Ainsi fin 1997 50 millions de
$ de matériels d'armement ont été donné
à l'armée colombienne dans sa lutte. Au début
de la même année 12 hélicoptères Bell
UK-1H avaient déjà été donné,
ainsi que 120 millions de $ d'armes.
Pourtant, l'Etat colombien n'est
pas considéré par l'administration amérikaine
comme un " allié " dans la " guerre contre
la drogue ", il n'y aurait donc théoriquement pas
eu dû avoir de dons.
On peut se douter que la proportion de l'aide contre-révolutionnaire
est à la dimension de la contre-révolution.
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