A propos de la capitulation
des guérillas dans les néo-colonies

Article paru dans Front Social


" Le capitalisme s'est transformé en un système universel d'oppression colonialiste et d'étranglement financier de l'immense majorité de la population du globe, par une poignée de pays 'avancés' "
(Lénine, L'impérialisme, stade suprême du capitalisme).

Aujourd'hui le niveau de vie des pays impérialistes ne conserve sa relative stabilité que grâce à l'exploitation des néo-colonies.

Ces néo-colonies sont de fait les anciennes colonies qui ne sont pas arrivées à se libérer du joug impérialiste, par incapacité à marcher vers le socialisme.

Ainsi, des pays comme Cuba et le Vietnam sont devenus dépendants du social-impérialisme soviétique.

L'impérialisme, pour maintenir sa domination dans ces pays, a dû modifier la forme de domination. Il a développé une bourgeoisie bureaucratique qui joue les intermédiaires, bourgeoisie allié aux grands propriétaires fonciers.

Il arrange la production selon ses besoins, faisant tout pour empêcher l'indépendance économique de ces pays, et maintient artificiellement des formes féodales d'oppression.

" La combinaison du pillage impérialiste et des formes féodales d'exploitation des travailleurs est un trait caractéristique des méthodes d'exploitation coloniale qui assurent des bénéfices monopolistes au capital financier des métropoles ".

Il va de soi que les néo-colonies n'en sont pas arrivés au même stade de développement.

" Il faut distinguer au moins trois catégories de pays coloniaux et dépendants :
Les pays qui ne sont absolument pas développés au point de vue industriel et qui n'ont pas ou presque pas de prolétariat ;
Les pays sous-développés au point de vue industriel et dont le prolétariat est relativement peu nombreux,
Les pays plus ou moins développés au point de vue capitaliste et dont le prolétariat est plus ou moins nombreux ".

Apparence de démocratie mais vraies dictatures

Ce qui caractérise les néo-colonies, c'est que politiquement elles ont l'apparence de la démocratie, et sont reconnues en tant que telles.

Ainsi, la Turquie et le Pérou sont officiellement des pays démocratiques, tout comme l'Inde et les Philippines. Il est vrai qu'il est des cas où le régime n'est pas républicain, comme le Maroc, mais alors il s'agit d'un pays presque démocratique ou en voie de démocratisation.
Pourtant, en pratique, les néo-colonies ne sont pas des "démocraties ".

Les révolutionnaires le comprennent bien, et dès l'initiation de la lutte armée le régime jette une partie de son masque, montrant par ses réactions sa dépendance absolue des décisions de l'impérialisme.

Et, plus la guerre populaire avance, plus les masses progressent sur les plans politiques, culturels et idéologiques, plus le régime se crispe, s'appuie sur une base de plus en plus faible.

Plus la guerre populaire avance, plus les différentes classes sociales se reconnaissent en elles, y compris une partie de la petite bourgeoisie nationale, elle-même opprimée par l'impérialisme et la bourgeoisie bureaucratique à sa solde.

Partant de là, amener une guérilla à la capitulation, là où la destruction militaire n'est pas possible, est une tactique essentielle de l'impérialisme.

Pour cela, l'impérialisme peut :

· Renforcer un courant minoritaire contre un courant révolutionnaire majoritaire, comme ce fut le cas du soutien des islamistes par l'Etat d'Israël, destiné à contrer les forces communistes (FPLP et FDLP). Ce fut une réussite, les forces communistes devenant réformistes après avoir perdu l'hégémonie, et les islamistes majoritaires étant incapables de développer une politique révolutionnaire correcte, malgré le " danger " qu'ils représentent.

· Renforcer le courant opposé à la notion de Parti contre les marxistes-léninistes et bien sûr les maoïstes. Ainsi le FMLN a combattu militairement les fractions communistes ; un autre exemple est l'OLP, le PKK et l'IRA combattant les opposantEs aux accords de paix.

· Utiliser l'arme de la guerre psychologique : ainsi lors de l'arrestation du Président Gonzalo, l'Etat péruvien fit publier de faux textes de lui affirmant la nécessité de cesser la lutte armée, s'appuyant pour cela sur des prisonnierEs politiques achetées. Cela réussit à semer le chaos pour quelques temps
.
· Appeler à la paix des braves : l'impérialisme organise des accords entre l'Etat et la guérilla, la situation revenant à celle d'avant le début de la guérilla mais avec l'intégration dans la bourgeoisie bureaucratiques des éléments dirigeant la guérilla.


L'argumentation des guérillas se vendant à l'impérialisme est toujours la même. La situation aurait changé, le politique prenant la " première place " grâce aux avancées permises par la lutte armée.

Dans tous les cas il n'y aurait pas d'autres choix, car " les masses sont fatiguées et veulent la paix ".
En pratique, ce discours fut celui du Front Farabundo Marti de libération nationale (FMLN) au Salvador, qui a signé des accords de paix en 1992.

Quelles améliorations y a-t-il eu pour les masses ? Aucune, la situation n'a pas changé, et s'aggrave même chaque jour.

Le seul exemple un tant soit peu favorable, mais dans une proportion faible, est celui de l'Afrique du Sud (Azanie), où l'apartheid a été aboli. Il va de soi que cela est bien ; désormais les quotas amènent une égalité longtemps attendue, même si cela se fait principalement au profit de la bourgeoise noire.

Mais en pratique, les statues des leaders de l'apartheid sont toujours là, les noms de rue n'ont pas changé, les masses populaires vivent toujours dans la misère et la violence, principalement sexiste, a explosé.

On pourrait nous dire que dans certains cas, comme ici l'Afrique du Sud, le compromis était nécessaire, par manque de cadres, par la force de l'ennemi, etc. Cela revient à dire qu'on a besoin de son ennemi après la victoire, ce qui est absurde : les Bolchéviks et le PC Chinois ont démontré qu'on pouvait utiliser son ennemi (comme la petite-bourgeoisie) à condition de totalement le contrôler (ainsi pour la NEP en Russie).

Or, les partisans du compromis ne sont pas sur cette ligne.

Ainsi le FSLN (Front Sandiniste de Libération Nationale) du Nicaragua a capitulé après avoir gagné sur le plan politico-militaire.

Pourquoi ? Parce qu'il n'avait pas de programme réel ni d'idéologie, qu'il représentait les intérêts de la petite-bourgeoisie urbaine et des classes moyennes.


De l'URSS social-impérialiste au Forum de Sao Paulo

"Etant donné que la paysannerie prédomine dans la population des pays coloniaux et dépendants, la question coloniale et nationale est, quant au fond, une question paysanne.

Le but général du mouvement de libération nationale dans les colonies et les pays dépendants est la libération du joug de l'impérialisme et la suppression de toutes les survivances féodales.

De ce fait, tout mouvement de libération nationale dans les colonies et les pays dépendants, dirigé contre l'impérialisme et l'oppression féodale, si même le prolétariat y est relativement faible, revêt un caractère progressiste.

Le mouvement de libération nationale dans les colonies et les pays dépendants, dans lequel le prolétariat joue un rôle de plus en plus grand en tant que dirigeant reconnu des larges masses de la paysannerie et de tous les travailleurs, entraîne dans la lutte contre l'impérialisme l'immense majorité de la population du globe, opprimée par l'oligarchie financière de quelques grandes puissances capitalistes.

Les intérêts du mouvement prolétarien dans les pays développés au point de vue capitaliste et du mouvement de libération de nationale dans les colonies, imposent l'union de ces deux formes de mouvement révolutionnaire en un front unique de lutte contre l'ennemi commun, contre l'impérialisme.

Et, comme l'enseigne le léninisme, le soutien, la défense et la réalisation du mot d'ordre proclamant le droit des nations à se séparer et à se constituer en Etats indépendants, représente de la part du prolétariat des nations dominantes une aide efficace au mouvement de libération des peuples opprimés.

L'essor de la lutte pour la libération nationale des peuples opprimés des colonies et de pays dépendants sape les assises de l'impérialisme et en prépare l'effondrement".
Manuel d'économie politique, institut d'économie de l'URSS, 1955-1956

Un facteur décisif a longtemps été le soutien de ces classes par l'U.R.S.S., principalement par l'intermédiaire de Cuba. Cuba a soutenu indistinctement les guérillas représentant ces classes, n'hésitant pas à les trahir le cas échéant.

Ainsi en 1965 Cuba soutient-il le " PC du Pérou " révisionniste ainsi que deux guérillas lui étant opposées (ELN et MIR), avant de soutenir la dictature militaire de 1968 écrasant ces mêmes guérillas !

Comme l'a dit Castro au Pérou en 1971:

"Si j'étais péruvien et révolutionnaire, je n'attendrais pas, j'essaierais d'encourager ce processus et je ne le combattrais jamais, parce que si je le faisais, aujourd'hui, cela reviendrait à aider l'impérialisme ".

Dans la même logique, il a soutenu la capitulation du FMLN : "Nous considérons ces accords de paix comme étant positifs et nous nous réjouissons du fait que grâce à la participation de tous, on ait pu obtenir une solution pacifique à la guerre au Salvador - une guerre qui se prolongeait depuis plusieurs années et dont toutes les parties tiraient également profit, et qui était devenue chronique, interminable. Il me semble que pour les révolutionnaires, il est sage, dans de telles circonstances, d'en arriver à penser que grâce à la lutte héroïque qui a été menée, on puisse désormais atteindre nos objectifs par des moyens pacifiques…

J'ai suivi avec beaucoup d'affection le travail accompli par les révolutionnaires salvadoriens, leur capacité de négocier et d'obtenir un accord satisfaisant ".

A la suite de la désagrégation du bloc socialiste, les guérillas réformistes et les partis révisionnistes ont créé le forum de Sao Paulo au début des années 1990.

Plus de 120 organisations d'Amérique latine y ont participé, avec à leur tête le PC cubain, Daniel Ortega du FSLN et Lula du Parti des Travailleurs du Brésil.

Le Forum prône la démocratisation des régimes, la négociation avec les guérillas, et s'affirme " jospiniste " pour ainsi dire : " Le projet que nous défendons suppose qu'on combine l'existence du marché avec la fonction régulatrice de l'Etat ".

Le prétexte de l'abandon formel de la référence au socialisme est la prétendue " lutte contre le néo-libéralisme ".

La capitulation en Colombie

Le forum joue évidemment un rôle important en ce qui concerne la capitulation des guérillas en Colombie. Ainsi, le porte-parole du département d'Etat des USA, James Rubin, a déclaré le 20.01.1999 à l'agence Reuters que " Cuba peut jouer un rôle dans le processus de paix (…).

Washington ne s'objectera pas à l'implication du leader cubain si celui-ci peut utiliser son influence sur les rebelles marxistes pour les persuader d'arrêter les combats".

Il y a deux processus de négociation.

Le premier se fait entre l'Etat colombien et les FARC, dans une zone démilitarisée en Colombie même. Pour montrer la " qualité " de l'idéologie des FARC, rappelons qu'en juin 1999 le commandant des FARC Raul Eyes accueillat à bras ouverts le président de la Bourse de New York dans une " zone libérée ".

Le second processus se déroule entre l'ELN (Armée de Libération Nationale) et l'Etat colombien associé à des représentants de la " société civile " (syndicats, organisations du patronat, médias, politiciens, juristes, ONG, etc.).

Il se déroule à l'extérieur de la Colombie, principalement en Allemagne où l'Etat joue les bons offices.

Il est évident que les FARC et l'ELN veulent des accords de paix ; le réformisme de leurs actions armées (très médiatiques, comme avec les kidnappings) montre bien qu'ils n'envisagent pas la prise du pouvoir pour laquelle ils n'ont de toute manière pas de programme.