La guerre populaire au Népal

Article paru dans Front Social n°15


En février 1996, dans 60 des 75 districts du Népal, des milliers de personnes en armes mènent 5.000 actions pendant deux semaines.

Assauts contre les commissariats, confiscations des biens des grands propriétaires terriens, tractages.. Ce fut le début de la guerre populaire, initiée par le Parti Communiste du Népal [maoïste].

Népal : la situation de la seconde plus forte guerre populaire
La réponse de l'Etat népalais fut une accentuation de la répression (existante déjà) à grande échelle, à un point tel que toutes les organisations de droits de l'Homme remplirent de piles de dossiers concernant les violations dans ce pays.

La société népalaise

Le Népal est un pays couvrant une grande partie de l'Himalaya, entre le sous-continent indien et le plateau tibétain (qui fait partie du territoire chinois).

Malgré le fait que la chaîne de l'Himalaya soit la plus haute du monde (à ce titre, le Mont Everest s'appelle en fait Sagarmatha), les routes sont praticables, et utilisées depuis l'antiquité comme chemins commerciaux (entre l'Inde et le Tibet, puis la Chine).

Le Népal est ainsi composé de toute une mosaïque de peuples, des " Tibéto-birmains " aux " Indo-aryens " ; la moitié de la population fait ainsi partie de différentes minorités, appelés janjati. Différentes religions coexistent, nombre de janjati sont ainsi animistes, il y a également environ 20% de la population qui est bouddhiste (en majorité de type tibétain).

Mais le régime est dominé par une seule nationalité, de religion hindoue, qui considère tout le monde comme hindou afin de maintenir une division en castes.

Seulement 30% des gens ont le Népali, la langue officielle, comme langue maternelle.

En fait, entre le 11ème et le 13ème siècle, des féodaux indiens se réfugièrent au Népal devant l'invasion moghole.

Par la suite, lorsque les Anglais pénétreront dans le sous-continent indien, un féodal réussit à unifier l'Etat népalais, fondant la dynastie des Gorkha. Le roi du Népal se présente systématiquement comme une réincarnation du Dieu Vishnou.

En 1815, le régime passa sous la tutelle britannique, qui préférait éviter une occupation militaire totale à cause des complications géographiques.

500.000 népalais servirent dans les régiments Gorkha lors de la seconde guerre mondiale, puis virés sans remerciements (leur retour fut prétexte à une série d'exigences démocratiques dans la société népalaise, et une grande diffusion de l'expérience militaire).

Aujourd'hui encore les régiments Gorkhas existent dans les armées anglaises et indiennes.

Les Anglais firent en sorte que soit ouvert la région du Terai, une bande de terre large de 25 à 50km dans le Sud du pays, aux colons, principalement d'Inde. Aujourd'hui encore, le régime joue la carte du racisme anti-indien par rapport à ces " immigrés ".

Le Terai est une région extrêmement fertile, légèrement au-dessus du niveau de la mer.

Une grande partie des paysanNEs, qui forment 90% de la population, vivent là et dans les vallées de Katmandou et Pokhara, subissant le joug de l'aristocratie et des grands propriétaires terriens.

Les janjatis vivent dans des conditions plus primitives, vivant dans des régions isolées (par les montagnes et les rivières), mais sont également opprimés par le pouvoir central.

Il y a au Népal 1290 docteurs pour 18 millions de personnes ; ces docteurs vivent qui plus est la plupart dans la capitale. L'espérance de vie est de 54 ans pour les hommes, et de 52.2 ans pour les femmes, ce qui montre la misère et la situation patriarcale.

Le mariage par kidnapping (la rançon est discutée avec la famille) est une tradition pour une grande partie de la population. La traite des femmes vers les bordels indiens est une donnée sociale importante.

L'économie passe par le tourisme pour occidentaux. Des millions de Népalais sont partis comme travailleurs immigrés en Inde. Le Parti Communiste du Népal [maoïste] possède ainsi de fortes sections en Inde même, ainsi que dans les populations non népalaises parlant une langue proche et vivant près de la frontière népalaise.

Les formations politiques

De fait de 1846 à 1945 le régime était contrôlé par les premiers ministres, tous membres de la famille Rana.

Devant la montée de la lutte des masses et avec la victoire sur le fascisme, les Britanniques se virent obliger de cautionner un coup d'Etat mené par le roi.

Après le départ de ceux-ci d'Inde en 1947, le régime népalais passa sous domination indienne.

Deux partis se fondèrent : le Parti du Congrès du Népal, défendant les intérêts des grands propriétaires terriens et de la bourgeoisie bureaucratique. En avril 1949 se forma le PC du Népal, qui attira immédiatement l'attention des masses, malgré l'absence d'un programme et d'une idéologie révolutionnaires clairs.

Deux autres partis auront une grande importance dans les années à venir : le parti Rastriya Prajantantra, représentant les forces royalistes ultra-réactionnaires, et le parti Sadbhavana, parti régional du Terai défendant les intérêts des grands propriétaires terriens.

Pour assurer la stabilité du régime fut effectué un " accord tripartite " entre l'Inde, le roi et la famille Rana.

L'hérédité ministérielle fut abolie, un parlement établi, le roi fut doté de prérogatives.

Le PC du Népal s'opposa à l'accord et mena une lutte acharnée ; la lutte armée commença dans la paysannerie.

Le leader pro-communiste Vim Dutta Pantha organisa une guérilla qui ne put être défaite que par l'armée régulière indienne.
La direction du PC du Népal trahit néanmoins la lutte, notamment son secrétaire général Man Mohan Adhikari, qui devenir premier ministre en 1994.

Le PC du Népal reconnut le régime, et participa aux élections de 1960, où le score fut misérable. Le Parti du Congrès rafla tout et mena une politique totalement pro-indienne, notamment en ce qui concerne les réserves d'eau (le premier ministre affirma même que le Népal n'avait pas besoin d'être présent à l'ONU car l'Inde y était déjà !).

En 1967 eut lieu à Naxalbari en Inde (à côté de Darjeeling), à quelques kilomètres du Népal, un soulèvement paysan armé qui devait lancer la guérilla maoïste. En 1971, dans le district de Jhapa, une section locale du PC du Népal initia la lutte armée, qui ne sut pas se transformer en guerre populaire malgré son succès. Critiqué comme déviation ultra-gauchiste par la direction réformiste / révisionniste, le mouvement s'écroula vite et ses leaders firent leur autocritique.

En 1974, le PC du Népal adopta le " marxisme-léninisme pensée Mao Zedong " comme idéologie, reconnaissant la lutte armée comme légitime mais ne traitant pas du problème.

Normal Lama, le nouveau secrétaire élu en 1978, mis en avant la thèse de " l'insurrection générale ".

Et, si le Parti rejeta par la suite en 1980 le référendum proposé par le roi suite aux divers soulèvements, Lama proposa la participation aux élections de 1983.

Il fut exclu du Parti, et le PC du Népal prit le nom de PC du Népal [Mashal], qui rejoint le Mouvement Révolutionnaire Internationaliste [MRI] en 1984. Un congrès (le cinquième) fut effectué en 1985, qui mit en avant la nécessité de la guerre populaire.

Une scission se produisit alors, une fraction majoritaire rejetant les apports de Mao et considérant la guerre populaire comme impossible.

Le PCN [Mashal] se divisa ainsi en 1986 :
· Le PCN [Mashal]- Comité Central , connu en tant que PCN [comité central]
· Le PCN [Mashal]- Comité Central d'Organisation.

En 1990, un large mouvement de masse mit fin à la monarchie, et le régime instaura une démocratie avec plusieurs partis. Le mouvement communiste se réorganisa alors en :

· Le Parti Communiste du Népal [Centre Unité], formé du PCN [M]- Comité Central, d'une section du PCN [M]- CC d'Organisation, du groupe de Lama et d'un groupe appelé Organisation Prolétarienne du Travail ;
· Le Parti Communiste [Mashal] ;
· Le Parti Communiste Unifié du Népal [Marxiste-Léniniste], connu sous le sigle " UML ".

L'UML rassemblait l'ensemble des révisionnistes, comme Adhikari qui avait trahi la lutte des années 1950, et d'autres qui avaient refusé la lutte des années 1970.

Aux premières élections parlementaires de 1991, le PCN [Mashal] appela au boycott, tandis que le PCN [Centre Unité] participa par le Front Uni Populaire (UPF).

Le Parti du Congrès gagna 110 des 205 sièges, l'UML 69, l'UPF 9.
Le PCN [Mashal] et le PCN [CU] participèrent par contre aux élections locales, gagnant respectivement 1.000 et 2.000 postes.

Aux élections suivantes, les positions s'inversèrent, l'UPF boycottant les élections (avec succès dans leurs régions d'influence) et le PCN [Mashal] gagnant deux députés, tandis que l'UML arrivait au pouvoir. En 1995, le Parti du Congrès revint au pouvoir par le jeu des alliances.

Le PC du Népal [Maoïste] et la guerre populaire

En mai 1994, le PCN [CU] expulsa le groupe de Lama de ses rangs, et prit le nom de PCN [Maoïste]. En 1995, le troisième plénum de son comité central décida de lancer la guerre populaire, mettant en pratique la position du PCN [CU] décidée en 1991 mais sabotée par le groupe de Lama.

Une grande aide pour cette victoire fut la campagne de soutien au Président Gonzalo, arrêté en 1992, et la reconnaissance du Marxisme-Léninisme-Maoïsme comme troisième étape du marxisme.

A partir de 1995 la lutte de classes fut ainsi relancé ; en réponse le régime organisa " l'opération roméo ", où plus de 1.000 camarades furent arrêtéEs et torturéEs. 50.000 personnes manifestèrent contre la répression dans la capitale, et 200.000 dans tout le pays.

Le 13 février 1996, la guerre populaire fut lancée. 5.000 actions furent menées, des centaines de milliers de tracts distribués, 50.000 posters affichés. L'objectif de la première campagne était d'établir la lutte armée, de mettre celle-ci en avant comme forme principale de lutte, de commencer à former des bases d'appui.

Le second plan fut lancé en octobre 1996, afin " de développer la guerre de guérilla de manière planifiée, de telle façon que soient préparés les fondements pour que certaines zones précises se transforment en zones de guérilla dans un futur proche.

Pour cela, l'accent doit être mis sur la création de bases populaires radicalisées (ou militarisées) dans certaines zones précises et sur l'expansion et la montée en puissance de la capacité combattante de chaque détachement. Pour cela furent fait des catégorisations en zones principales, secondaires, zones de propagande.. " (The Worker, organe du PCN (M), n°3, février 1997).

L'un des objectifs vitaux était l'obtention d'armes, nombre d'actions étaient et sont faites au khukhuris (couteaux traditionnels népalais) voire à mains nues.
Mais le second plan développe également les aspects politiques, économiques, sociaux et culturels.

Deux grèves générales furent menées à Katmandou et dans tout le Népal, respectivement les 21 août et 12 décembre 1996, sous la bannière du Comité de Coordination Nationale des Mouvements de Masse.

La grève de décembre s'orientait contre le traité de Mahakali, la corruption, les meurtres et les violations des frontières.

Le traité de Mahakali est un symbole de l'oppression indienne. Il s'agit d'un projet hydroélectrique dont tous les bénéfices reviennent à l'Inde, qui aurait de l'électricité gratuite, tandis qu'au Népal reviendrait des dettes égalant cinq années de budget national.

40% de la population du Népal n'a pas l'eau courante, alors qu'il y a parmi les plus grandes réserves d'eau du monde, et la capacité de produite plus d'électricité que les USA, le Canada et le Mexique réunis.

En 1997 le PCN (M) organisa la résistance aux élections du 17 mai, prouvant sa grande influence et son contrôle de larges zones. 20.000 policiers furent mobilisés dans ces zones ; une loi scélérate anti-terroriste fut votée, sous l'impulsion des "marxistes-léninistes " de l'UML.

Contre cette loi de nombreux mouvements se développèrent à partir du 29 août 1997, organisés par le Comité de Coordination.

En mai le PCN (M) avait affirmé que le second plan avait été appliqué avec succès.

Le troisième plan fut un succès lui aussi.

Sa ligne consistait en le mot d'ordre " Développer la guérilla à un niveau supérieur " ; des centaines de villages furent libérées. L'objectif du PCN (M) est " la création de la base pour des organes locaux de pouvoir politique, et l'élévation du niveau politique, organisationnel et technique de l'armée populaire de guérilla, ce afin de tenir tête à l'armée rivale dans la perspective des zones de guérilla ".

L'Etat lança alors l'opération " kilo sera 2 ", consistant en une offensive de plusieurs dizaines de milliers de soldats dans 75 districts. Le régime népalais mène la même politique génocidaire que l'Etat fasciste péruvien : l'armée massacre les villageois, torturant, violant, tuant et pillant.

De plus en plus de femmes s'investissent dans la production agricole, l'ensemble des jeunes hommes devant se cacher pour échapper à l'armée.

Depuis, la situation n'a pas changé, le PCN(M) organise des mouvements de masse et développe la guérilla, confrontée à la même situation que le PC du Pérou en 1983/1984. Il affronte l'Etat népalais, ainsi que le révisionnisme ouvert (l'UML) comme caché (le PCN [Mashal] qui a au fur et à mesure rejeté Mao et s'est exclu du mouvement maoïste.