Contre l'histoire
masculine
de la sexualité!
Article paru dans FRONT SOCIAL n°8
" Le projet était donc
dune histoire de la sexualité comme expérience
- si on entend par expérience la corrélation, dans
une culture, entre domaines de savoir, types de normativité
et formes de subjectivité ".
Michel Foucault nous présente
ainsi, dans lusage des plaisirs, le projet initial qui
le motivait. Dès le départ une chose est entendue
- qui ne létait pas pour les Grecs ni les Latins
- il y a lien entre " des phénomènes divers
et apparemment éloignés les uns des autres: comportements,
mais aussi sensations, images, désirs, instincts, passions
".
Cest-à-dire qualors
une autre représentation était attribué
aux plaisirs, que la sexualité possédait dautres
ponts apparents vers la culture.
Son intérêt se porte
donc vers la " problématisation ", non pas tant
que recherche de la connaissance théorique contextuelle
de la sexualité; son objectif est au contraire de "
cerner ce qui structure lexpérience morale des plaisirs
sexuels - son ontologie, sa déontologie, son ascétique
et sa téléologie ".
Avant de nous intéresser
directement à sa construction du champ de la sexualité
à rechercher, nous devons bien constater un problème
daménagement de lexpérience. Car, de
fait, " toute théorie du sujet aura toujours
été appropriée au masculin.
A sy assujettir, la femme renonce à son insu à
la spécificité de son rapport à limaginaire
(...).
La subjectivité déniée
à la femme telle est, sans doute, lhypothèque
garante de toute constitution irréductible dobjet;
de représentation, de discours, de désir ".
On peut se demander dans quelle
mesure il est juste de parler de parler des modalités
de lamour sans présentation des enjeux, puisquen
loccurrence la femme a été historiquement
confronté à une opposition pratique à sa
réalité.
Il nest pas possible de remarquer
les différences culturelles entre le monde grec et le
monde chrétien sans constater que les sentiments ne sont
pas les mêmes selon les genres, même si lon
découvre du sens.
Michel Foucault nous explique les
liens considérés à lépoque
entre attirance pour le plaisir et force du désir, dont
lunité constituait alors une valeur reconnue et
quainsi " il est assez rare, lorsquon trace
le portrait dun personnage, quon fasse valoir sa
préférence pour telle ou telle forme de plaisir
sexuel; en revanche, il est toujours important pour sa caractérisation,
morale de marquer si, dans sa pratique avec les femmes ou les
garçons, il a su faire preuve de mesure ".
Une telle évaluation nest
pas sans rappeler la remarque qui nous explique quil ny
aura ainsi " pas dhomosexualité féminine,
mais une seule hommo-sexualité où la femme sera
impliquée dans le procès de spécularisation
du phallus, sollicitée à soutenir le désir
du même pour lhomme, tout en assurant, par ailleurs
et de façon complémentaire et contradictoire, la
perpétuation du pôle matière
dans le couple ".
Bien sûr, par la suite sera
mentionné lamour " de la femelle avec la femelle
", mais cela nempêche pas le fait que lorsque
Michel Foucault sauve la formulation en terme de reconnaissance
(et de valeur) des Grecs par rapport à lamour sensuel,
il le fait en correspondant à un genre.
Même si léthique
dominante est reconnue comme " une morale dhomme,
faite par et pour les hommes ", il ne peut quy manquer
la dimension salvatrice, rédemptrice de cet état
de fait [pour la et les femmes]. Il ne peut pas être traité
du plaisir sexuel ou des formes de relation sexuelle, ni de leur
reconnaissance ou de la valeur qui leur est conférée
sans sorienter par rapport à lexistence féminine.
Il suffit pour démontrer
cela de raisonner par rapport au mariage. Ainsi " le contrat
de mariage y aura souvent été un contrat de travail
implicite, mais non entériné comme tel juridiquement;
ce qui prive la femme dun droit à des revendications
sociales pourtant légitimes: salaire, temps de travail,
vacances, etc. ". Il faudrait rajouter: sexuel.
La question du plaisir de la femme,
sil est reconnu par Foucault, ne semble pas gagner de genre,
de modalité en tant que tel. Il nous semble être
un plaisir masculin qui serait en fait féminin, ce qui
le placer sur un mauvais rapport; mais ici nous nous plaçons
sur un débat touchant lensemble du domaine de la
femme, une problématique qui fait exister une différence
pratique " entre des femmes comme Betty Dodson qui travaillaient
pour libérer la sexualité des femmes (les ateliers
masturbation) et celles comme Andrea Dworkin (auteure de Pornography:
Men possessing Women) qui luttaient contre lexploitation
sexuelle de la femme ".
Michel Foucault réitère
une telle analyse au sujet de la libération des désirs
(et leur expression): " en ce sens, lhomme de plaisirs
et de désirs, lhomme de la non-maîtrise (akrasia)
ou de lintempérance (akolasia) est un homme quon
pourrait dire féminin, mais à légard
de lui-même plus essentiellement encore quà
légard des autres ".
" Les autres ": il sagit
ici évidemment des hommes, car la femme ne peut visiblement
pas ici conférer de la valeur, et si elle en exprime alors
ce sera une valeur différente, féminine car non-masculine.
Foucault peut ainsi parler des "
signes traditionnels de cette féminité [des hommes]
- paresse, indolence, refus des activités un peu rudes
du sport, goût pour les parfums et les ornements, mollesse...
(malakhia) ". Il est ici totalement évident que linterprétation
de la féminité - même sil sagit
dune expression de la femme par des hommes - est totalement
masculine et absolument pas féminine.
La formulation, la manière
même dont sont reconnues les valeurs culturelles est bien
éloignée de la manière dont la femme peut
et doit sapproprier son histoire ou plus exactement son
existence.
Il nest pas possible de traiter
de lusage des plaisirs et daffirmer unilatéralement
que " lintempérance, elle relève dune
passivité qui lapparente à la féminité
", car cest admettre théoriquement la violence
contre les femmes, cest oublier que " le premier antagonisme
de classe qui parut dans lhistoire coïncide avec le
développement de lantagonisme entre lhomme
et la femme dans la monogamie, et la première oppression
de classe avec celle du sexe féminin par le sexe masculin
".
Il nous semble donc que la problématique
développée par Michel Foucault, si elle a lintérêt
universel de libérer du sens en remettant dans le contexte
global de lexistence de la sexualité les rapports
humains, néglige totalement laspect féminin
en cantonnant la femme dans un statut (soi-disant) acceptée
(par elle) dobservatrice.
La femme naurait alors plus
quà attendre, recevoir, de fait à être
passive. Ceci nest selon nous pas valable car cest
oublier quAristote considérait que " dailleurs
lenfant a une forme féminine, et la femme ressemble
à un mâle stérile " et que " les
questions autour de la libération des femmes, de laffirmation
dune identité différente, éludent
souvent lampleur de la tragédie éthique dont
il sagit ".
La question de la violence contre
les femmes et les enfants resteraient ainsi ici en suspens.
" La femme continue à
demeurer lesclave domestique, malgré toutes les
lois libératrices, car la petite économie domestique
loppresse, létouffe, labêtit,
lhumilie, en lattachant à la cuisine, à
la chambre des enfants, en mobligeant à dépenser
ses forces dans des tâches terriblement improductives,
mesquines, énervantes, hébétantes, déprimantes
".
" Question également
tributaire dune économie, aussi de la représentation,
à laquelle Freud recourt sans la critiquer, sans la remettre
suffisamment en cause, systématique dont le sens se règle
sur des paradigmes, des unités de valeur, déterminés
par des sujets masculins ".
" La famille individuelle moderne
est fondée sur lesclavage domestique avoué
ou dissimulé de la femme (...).
Lhomme, de nos jours, doit,
dans la grande majorité des cas, gagner de quoi nourrir
sa famille, tout au moins dans les classes possédantes,
et cela lui donne une situation prépondérante qui
na pas besoin dêtre spécialement privilégiée
par la loi. Il est, dans la famille, le bourgeois, et la femme
représente le prolétariat ".
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