Je hais les matins

 

 

Le prisonnier politique Jean-Marc Rouillan publie un livre aux éditions Denoël: Je hais les matins

[Jean-Marc Rouillan est né en 1952, et participe assez jeune au mouvement anarchiste-communiste de Toulouse, puis au mouvement anti-franquiste.

Ainsi, au cours de l'année 70, il fut membre du premier noyau de l'organisation armée dont se dota le mouvement ouvrier clandestin de la région de Barcelona (Catalunya) : le Movimiente Iberico de Liberacion (MIL).

L'un de ses membres, Salvador Puig Antich, fut le dernier condamné politique à être garotté (le 2 mars 1974).
Par la suite, il participe à la fondation des GARI (Groupes d'Action Révolutionnaire Internationalistes) puis au mouvement autonome (issu de la dérive spontanéiste des maoïstes et d'un renouveau révolutionnaire dans la jeunesse). En 1978 il participe à la fondation d'Action Directe, organisation démantelée en 1987.]

 

Il faut haïr les matins, sans quoi l'on est pas un partisan du grand soir.

C'est le message que nous fait passer, au-delà des murs de la prison, Jean-Marc Rouillan. Le matin s'oppose au soir. Le matin, c'est le recommencement d'une vie entre quatre murs, parce que la bourgeoisie et son Etat en ont décidé ainsi.

Tout le rythme de la journée est organisée par le système carcéral. Une vie qui n'en est pas une, et qui exige d'être elle-même.

Un désir de révolution. Les premières lignes du livre sont claires, elles frappent comme le reste du bouquin : " Au réveil, la prison saute à la gorge. Comme un animal à l'affût de l'ultime cauchemar ".

L'histoire de Jean-Marc Rouillan est l'histoire de toute une époque, et d'au moins trois mouvements. Il y a tout d'abord le soutien à la résistance antifranquiste. Il y a ensuite le mouvement autonome, et enfin, intimement mêlée à celui-ci, l'histoire d'Action Directe, dont il a été l'un des principaux " protagonistes ", comme on dit.

Cette histoire, ces histoires, ne disent pas grand chose pour la grande majorité de nos lecteurs et lectrices. Elles datent des années 1970 et 1980, et s'appuient principalement sur l'idéologie libertaire.

Leur côté spontanéiste leur a donné un côté irréel. C'est pour cela que Jean-Marc Rouillan n'en parle pas : l'idéologie mêlant anarchisme, communisme libertaire voire un peu de maoïsme suinte dans tout le livre, mais jamais la question n'est abordée, quitte à plonger dans des contradictions insolubles (l'auteur se présente comme " communiste " mais ne cesse de faire l'apologie de l'Espagne de 1936, nec le plus ultra de la référence anarchiste et anarcho-syndicaliste).
Cette idéologie est d'ailleurs désagréable à celui/celle qui lit.

Passe encore que Jean-Marc Rouillan n'aime pas les tags.

Pourtant, c'est idiot, et lorsqu'il dit : " De nos jours, les jeunes taguent leurs surnoms ou celui de leur clan, stylisé à la manière d'une marque de clopes ou de soupe en boîte ", il aurait dû en voir le caractère fondamentalement populaire et critiquer justement les tagueurs s'étant vendus aux boîtes de design (ils sont nombreux ceux de Paris-Tonkar [Paris-Karton], le livre de photos historique, à bosser sur de beaux Macintosh dernier modèle…).

Mais ce qui est vraiment dur à avaler, c'est ce nihilisme. Encore et toujours ce nihilisme ! Non pas celui des Russes du début du vingtième siècle, mais celui des polars du début de ce siècle-ci : moraliste critique surfant sur les attentes d'un grand soir.

Un nihilisme qui suinte d'une critique sociale, d'une critique des " salauds " que Jean-Paul Sartre n'aurait pas renié.

" Je ne peux m'empêcher une réflexion muette. Dans nos pays grassouillets, depuis la fin des dernières guérillas, la prison est l'ultime lieu où l'engagement pour une transformation radicale implique directement sa propre existence ", nous est-il dit.

Non Jean-Marc, ce n'est pas vrai. La femme battue qui cherche à divorcer mène un combat au plus profond d'elle-même.

Le jeune homosexuel qui se découvre malgré un environnement réactionnaire vit une remise en cause terrible. La jeune juive qui découvre sa " différence " dans le pays des " petites têtes blondes " vit de grandes difficultés. Le petit arabe emmerdé par la police comprend le sens de cet aspect de son existence.

Non Jean-Marc, ce n'est pas vrai. Il y a des communistes, même s'il n'y a plus de guérillas.

Et, qui plus est, cela n'est pas vrai pour l'Espagne et l'Italie, où les guérillas ont continué…Sans parler de tous les autres pays où les guérillas sont apparues ces dernières années, des trois millions de NépalaisES libéréEs en cinq années au TKP(ML)-TIKKO qui n'a jamais été aussi fort.

Il n'est pas besoin d'être en prison pour haïr les matins.
Résumer le livre de Jean-Marc Rouillan à ces positions serait pourtant déplacé. Ce livre est une belle preuve du refus de "rédemption ", de soumission à l'Etat et la bourgeoisie.

Il est un obstacle au repentir, même si les révolutionnaires ne peuvent que regretter l'absence de prise de positions idéologiques (qu'en est-il du Front Anti-Impérialiste ?).

Il est une description tenace, fidèle, des événements que sont les luttes dans les prisons, des évènements dont la bourgeoisie se passerait bien. Car chaque vie est un événement, et chaque prisonnierE vit ce combat, cette lutte pour lui/elle-même.
En ce sens ce livre est une arme, la preuve d'un combat. Jean-Marc Rouillan n'est pas un modèle, mais un témoin, un camarade dans le feu de la lutte des classes, en prison.