TAZ
ou guerre populaire prolongée ?
Article paru dans Front Social,
été 2001
" Exterminate
the next fashionsucker
It's a raver ! "
(Atari Teenage Riot)
Les free parties ne sont pas un
phénomène nouveau, et pourtant il aura fallu attendre
le début de ce nouveau siècle pour que l'ampleur
en France soit telle que l'Etat soit obligé de réagir
de manière répressive, brutale, policière.
Et, étonnamment, au grand
dam de la communauté des free parties.
Pourtant, il fallait s'y attendre. On peut " oublier "
l'Etat autant que l'on veut, jusqu'au jour où l'on s'aperçoit
que l'Etat, lui, n'a jamais cessé de vous surveiller et
qu'il a décidé de vous supprimer, parce que vous
le dérangiez.
En ce sens, ce qui se passe en ce moment en France, c'est une
grande expérience politique pour les partisans des TAZ,
qui justement n'aiment pas ce mot de politique. Il va bien falloir
pourtant, car les Zones Autonomes Temporaires du type free parties
ont atteint une limite.
Non pas la limite de la loi, celle
prônée par Mamère, Kouchner et Jack Lang,
voulant que " maintenant il faut négocier avec l'Etat
", et passer du ministère de l'intérieur à
celui de la culture.
Non, bien au contraire : il faut comprendre la répression
comme la nécessité d'un saut qualitatif, où
il faut dire : on continue coûte que coûte, on refuse
l'Etat, on s'organise en contre-pouvoirs pour continuer notre
existence, jusqu'à ce que l'Etat cesse la sienne.
Sans cela, cela en sera fini des TAZ comme zones libérées
: une musique non commerciale, des spectacles scéniques,
une ambiance à part, libre d'accès, humaine.
Soyons francs, ce n'est déjà
plus cela. L'Etat tolère très bien les trafiquants
de drogue, et laisse même tranquillement Médecins
du Monde tester les drogues et faire de la prévention
pour éviter des dégâts trop forts pouvant
amener à une prise de conscience.
Les flics et les gendarmes jouent
aux idiots, mais il faut vraiment l'être pour croire que
l'occupation de la piscine Molitor, désaffectée
et en plein seizième arrondissement parisien, quartier
bourgeois s'il en est, n'ait pas été connu des
Renseignements Généraux alors que l'info circulait
depuis une semaine ! D'ailleurs, les flics étaient sur
les toits de l'immeuble d'à côté et surveillaient
l'occupation, les mains dans les poches
Car l'Etat n'a pas intérêt à ce que cesse
le trafic de drogue. D'abord, cela fait du pognon, lors des saisies
comme lors des commissions que certains doivent rafler. Ensuite
cela casse la jeunesse et son besoin de rébellion.
Soyons francs aussi d'ailleurs : certains sounds systems ne se
gênent pas pour en profiter aussi. Pragmatisme oblige,
nous est-il dit : les teufs coûtent chers
Alors les teufers et teufeuses pleurent sur un passé glorieux,
comme les forums sur le net en témoignent. Il n'y a plus
l'esprit, plus le feeling
Tu parles, Charles !
La " balloon mafia ",
qui vend les ballons de gaz hilarant, est là pour le fric,
pas pour autre chose. Dans les teufs, la diffusion des produits
illicites ne passe pas par les réseaux populaires, comme
les copies de jeux vidéos, mais par des filières
organisées, mafieuses. La TAZ n'est pas si autonome que
cela du capitalisme, visiblement
Et la jeunesse qui débarque n'y trouve rien à redire,
parce qu'elle n'a pas de culture de rébellion. Elle consomme
les teufs comme elle consomme autre chose et, surtout, par défaut,
car en définitive il n'y a pas grand chose. La TAZ n'est
plus un choix, mais un palliatif.
La grande erreur des teufs a été leur côté
apolitique, la démarche purement spontanéiste,
le refus de l'idéologie et de l'affrontement avec l'Etat.
On a défendu que le tribu, de manière nombriliste.
Le maximum qui a été atteint chez les nouveaux
arrivantEs, c'est une méfiance petite-bourgeoise de l'Etat,
au lieu d'un refus total.
Partant de là, à cause de l'opportunisme, les free
parties se retrouvent à quémander à l'Etat
une reconnaissance, à appeler à des manifestations
pacifiques pour reconnaître les droits des sounds-systems
à exister. Ce qui va à l'opposé absolu des
principes initiaux des frees.
Mais qui s'en soucie, puisqu'il
n'y a pas les moyens d'exprimer de la politique ?
Car quelle est la nature d'une zone autonome, si elle est reconnue
par l'Etat ? Et bien les choses sont claires : elle n'est plus
autonome. Elle est tolérée, encadrée au
fur et à mesure, et à la fin avalée.
C'est pourquoi, malgré tous les rapprochements possibles
qui peuvent et auraient pu exister, l'aspect festif n'est pas
en soi révolutionnaire. L'ennui est contre-révolutionnaire,
mais toutes les teufs ne sont pas révolutionnaires pour
autant.
Pour nous, révolutionnaires, qui voulons renverser l'Etat
et l'instauration du pouvoir populaire, c'est le principe des
TAZ qui est à remettre en cause.
Parce que les TAZ prétendent
se suffire à elles-mêmes, et cela est faux. Il faut
un objectif global et général, sans quoi le mouvement
s'essouffle, s'éloigne des principes de base et dégénère.
Cette question est en fait la même que celle ayant opposé
Bernstein et Lénine.
Pour Bernstein, social-démocrate
opposé à la révolution violente, "
le mouvement est tout ", alors que pour Lénine, ce
qui compte, c'est l'objectif stratégique.
Certains vont nous rétorquer : oui mais les moyens doivent
correspondre aux fins ! Nous répondons : oui, bien sûr
! Mais si l'on prend le dernier Teknival, les femmes étaient
bien moins nombreuses que les hommes. A
lors il est évident que si
une théorie sans pratique mérite d'être critiquée
(et non pas nécessairement rejetée), une pratique
spontanée touche très vite (que ce soit un jour
ou plusieurs années) à des limites indépassables
sans saut qualitatif.
Ce n'est qu'en comprenant la révolution comme un mouvement
social général, avec 10.000 facettes et une direction
globale, que l'on pourra avancer sans, en même temps et
finalement, reculer.
" Ne votez
pas ! Déclenchez des émeutes !
Incendiez des voitures
de police ! Célébrez les femmes !
Respectez les terroristes
! Brisez les postes de télé !
Détruisez
toutes les prisons ! Détruisez la morale chrétienne
! Du sexe ! Des graffitis !
Faites connaître
les drogues et Foucault ! Devenez vivants !!!!! Qu'attendez-vous
? Cela ne prend que quelques secondes
FAITES-LE
Changeons le monde !
Si vous considérez cela avec cynisme, vous êtes
de droite. L'industrie s'efforce toujours de transformer les
mouvement de jeunesse en plaisanteries. Nous en avons ras-le-bol
! Les bruits des émeutes produisent des émeutes
! (
)
Une émeute
crée une énergie capable de changer ou de détruire
ce système ! Endommagez des institutions et édifices
publics coûte de l'argent à l'Etat, ce qui favorise
l'implosion du système. Une émeute est plus sexy
qu'une paix factice.
Et il est difficile
de la contrôler. Evidemment, " émeute "
désigne quelque chose qui se produit dans la tête
des gens. Globalement, notre but est de mener une vie antifasciste,
de vivre dans une société sans structures de pouvoir.
Sans structures familiales ! Comme une masse ! Plus d'individualisme
! L'anarchie.
Gudrun Ennslin, de la Fraction Armée Rouge, a dit un jour
: "Tout est politique ! Même quand je baise ! ".
C'est tellement
vrai ! " Je ne suis pas très politique
",
cela n'existe pas !
Si vous voulez vous contenter de consommer stupidement du bonheur,
c'est au plus haut point politique ! Il n'y a pas de demi-mesure
!
L'industrie du divertissement (radio, télévision)
exerce une fonction unique : maintenir tout et tout le monde
tranquille. Ils ne font que produire de l'ennui ! (
). La
clef, c'est le bruit - la vie est pleine de bruit - seule la
mort est silencieuse ! Voilà pourquoi le bruit est banni
de la radio, de la télé, des supermarchés,
etc.
Les fréquences
moyennes font monter l'adrénaline dans votre corps. Lorsque
les gens sont excités, en colère, emplis d'émotions,
etc., ils font plein de bruit ! "
Tiré de : Alec Empire,
Le manifeste.
[Alec Empire est l'un des principaux membres du groupe d'Allemagne
ATARI TEENAGE RIOT, formé en 1992 et existant dans la
mouvance du label Digital Hardcore Recordings.]

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