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              Techno, pop et
            luttes de classe 
             
             
            (article paru dans Front Social
            n°12, hiver/automne 1998)  
            La Techno parade à Paris
            a été une démonstration de force du capitalisme.
             
            Quel dommage quand on y pense. Cela
            alors que la grande répression anti-techno, unique en
            Europe quasiment (à part en Grande-Bretagne, mais là-bas
            cétait de masse), a amené beaucoup de monde
            à être très critique par rapport au système
            dominant. 
            A Front Social cela fait longtemps
            que lon sintéresse à la techno. Il
            y a quelques années on avait même traîné
            dans une " party " les camarades naimant pas
            vraiment les musiques électroniques, afin quils/elles
            puissent se faire une idée.  
            Ca, ça a marché, mais
            ils/elles ne sont plus jamais revenuEs
 Il faut dire, quand
            on fait partie de lancienne génération ou
            quand on écoute du Death Metal
 
            Et puis il y a Atari Teenage Riot
            (ATR), qui sévit depuis plusieurs années en Allemagne
            et a débarqué en mai 1998 pour un concert à
            Paris. On les connaît depuis très longtemps, grâce
            aux autonomes doutre-Rhin.  
            Citons le quotidien Libération
            : " Avec les Berlinois dAtari Teenage Riot, cest
            un peu comme si les années 80 navaient jamais existé.
            On se croirait brusquement revenu au milieu des années
            de plomb de la Fraction Armée Rouge ". 
            Il faut dire quATR a comme
            symbole une mitraillette sur une étoile rouge, fait musicalement
            un mélange de punk et de techno hardcore ultrabrutal au
            niveau sonore, tout en criant textes et slogans fort intéressants
            : " Deutschland has gotta die " (lAllemagne doit
            mourir), ou encore " Chassez les nazis ! ", "
            Ne votez pas ! Déclenchez des émeutes !  
            Brûlez les cars de police
            ! ", " Respectez les terroristes ", etc. etc.
            ATR fait une musique très expérimentale : jungle,
            punk, techno, sur certains albums solos certains de ses membres
            samplent du jazz.  
            En France, cela ne passe pas, le
            concert na pas attiré les foules , mais en Allemagne
            cest toute une esthétique de la révolte (ATR
            en fait dailleurs un peu trop, encore un côté
            expressionniste à lallemande !). 
            Mais revenons à la techno
            parade, qui est le prétexte de cet article.  
            Ou plutôt, à la communauté
            techno, qui est sest avec le temps impeccablement intégrée
            au système capitaliste.  
            La tendance était déjà
            visible dans la gay pride, de plus en plus dévoyée
            en messe techno, avec des gays comme décor, et des "
            représentants " de la communauté gay tentant
            de gagner une reconnaissance par des arguments capitalistes (les
            gays travaillent mieux, consomment plus et achètent des
            objets de luxe, etc.). 
            Largumentation techno est
            totalement commerciale, anti-avant-garde : on parle de paix,
            dunité, damour, bref de thèmes généralistes
            acceptables par tout le monde sauf le skin du bled.  
            On comprend alors le mépris
            pour la scène techno que peuvent avoir ceux/celles qui
            recherchent non seulement une musique mais un fond culturel où
            développer une identité critique (le gothique,
            le death, lelectro, le hip hop). 
            Néanmoins, si les technoïdes
            ne se considèrent pas comme minorité révolutionnaire,
            ce quils/elles ne sont dailleurs pas, il y a un aspect
            ambigu mais intéressant : il y aurait une nation techno
            traversant les nations.  
            Pour nous, comme communistes, ce
            côté antinational est intéressant. Malheureusement
            il ne joue pas tant que çà, et sans doute les technoïdes
            hommes ont-ils regardé la coupe du monde et défilé
            avec les drapeaux français. Le technoïde homme est
            en effet content daller dans la rue avec les autres.  
            Un petit côté Nuremberg.
            Dailleurs la communauté techno se veut ouvertement
            irrationnel, et parle beaucoup de " famille", de tribalisme.
             
            Ici se rajoute un côté
            raciste : le technoïde assimile volontiers son expérience
            à celle des tribus africaines. Le côté retour
            vers soi-même tripé drogues. Un mouvement hippie
            sans le côté anti-sexiste, et sans le côté
            critique du monde capitaliste.  
            Cest à la limite un
            véritable anarchisme : on refuse le monde mais sans le
            changer, en jouant les individualistes avec dautres individualistes.
            Lessence même du petit-bourgeois. 
            Le caractère sexiste de ce
            mouvement saute aux yeux. La femme doit être une fille
            et ressembler aux personnages féminins des mangas : maigre,
            grosse poitrine..  
            Tandis que le garçon doit
            être cool, dominant, musclé, tout en ayant un look
            gay et en se disant bisexuel.  
            Lattraction de beaucoup dhommes
            pour la culture homosexuelle dans le monde techno tient également
            du patriarcat:  il sagit pour les hommes de renforcer leur
            idéologie de domination.  
            La scène techno assimile
            genre et sexe, alors que le grand apport du féminisme
            révolutionnaire est justement cette différenciation. 
 
            Entendons-nous bien, il ne sagit pas de rejeter la techno,
            mais bien de voir comment la lutte de classe a joué dans
            le mouvement techno, mais également dans la production
            de la musique elle-même. 
            Faisons donc un petit historique.
            Au début du siècle il y a dans ce quon appelle
            désormais la " musique classique " une évolution
            des structures musicales, notamment à partir du "
            Sacre du Printemps " de Stravinski (1913), et évidemment
            des futuristes italiens, utilisant et exprimant les nouveaux
            aspects industriels.  
            On aura également droit au
            concert de sirènes dusine dans la jeune Union Soviétique
            (avant que la ligne de lart populaire  le réalisme
            socialistes  ne soit officialisée).  
            En 1913 Luigi Russolo publia un
            livre où il affirmera que les bruits de tramways ou des
            masses dans la rue a plus de valeur que la symphonie pastorale
            par exemple ; il composera également "Awakening of
            the city ", où des machines reproduisent des bruits,
            de sirènes par exemples, mécaniquement.  
            En 1916 cest Satie qui voit
            en son ballet " la parade " un manifeste cubiste ;
            il avait déjà utilisé des danseurs mécaniques.
            Son " Sports et Divertissement " utilise pour la première
            fois limage, le texte et le son. Du multimédia avant
            lheure de lordinateur de masse. 
            En 1920 cest la naissance
            dun instrument électroacoustique, le Theremin (créé
            par Lew Thermen, qui sappelait Leon Theremin lors de ses
            activités despion soviétique aux USA).  
            Un champ magnétique est crée
            et lorsquon bouge la main dans ce champ on créé
            et modifie le son (tonalité, sonorité, puissance).
            Pour la petite anecdote Lénine la utilisé,
            pour jouer, selon la rumeur, une chanson populaire ou même
            lInternationale
 
            Marcel Duchamp fit lui en sorte
            de jouer des notes au hasard, et Schönberg développa
            entre 1921 et 1924 une méthode de composition en 12 tonalités
            (cest la musique dodécaphonique).  
            John Cage, disciple de Schönberg,
            composa en 1940 " living room music ", où les
            objets de lappartement sont utilisés comme instruments.
            Il créa un piano modifié à la Duchamp pour
            " Music for Marcel Duchamp" (1947) et son morceau "
            433 " de 1952 culmine dans le minimalisme (le pianiste
            sassoit et ne joue rien pendant quatre minutes trente-trois
            secondes).  
            Pierre Schaeffer développa
            dans les années 50 la " musique concrète ",
            où il utilise notamment des bruits de tous les jours enregistrés
            : cest le début du sampling. 
            Les bandes originales des films
            composent à être composées électroniquement,
            ainsi " les oiseaux " dHitchcock. Steve Reich
            développe à New York une musique minimaliste, composée
            de passages musicaux répétés mais légèrement
            modifiés à chaque fois. Il composera " Its
            gonna rain ", qui est le discours dun chef de secte
            modifié. 
            Philip Glas, connu par la suite
            pour la B.O. du film écologiste " Koyanisquantsi
            ", composera une musique répétitive et hypnotique
            (allant bien avec le film, la majorité des gens sendormant
            au bout de trois minutes, garantie). 
            Dans les années 60 on a doit
            à la musique psychédélique, et en 1968 des
            élèves du grand compositeur davant-garde
            Stockhausen fondent " Can ", qui utilisera un beat
            répétitif et sera un ancêtre de la trance
            de type techno actuel. Puis il y a la début des groupes
            utilisant des synthétiseurs : bien sûr Tangerine
            Dream, puis Kraftwerk, mais Neu !, Cluster, Faust, Klaus Schulze,
            Amon Düül. En 1972 on retrouve pour la première
            fois en haut des tops un tube composé avec des synthétiseurs
            : cest la chanson " Popcorn " de George Kinsley. 
            En 1975 Kraftwerk est " mondialement
            " connu avec Autobahn, 45 minutes de bruits dautoroutes
            créés artificiellement sur les synthés.
            Puis la naissance de la techno moderne arrive avec leur chanson
            " trans europe express " (durant 13 minutes), où
            lon entend un train accélérer sans que le
            rythme change.  
            Le groupe de hip hop Afrika Bambaataa
            adore, lamène aux USA où toutes les boîtes
            noires le joue (les Dj expliqueront que cest une chanson
            où lon peut enfin aller pisser puisquon a
            plus à le scratcher !). Le mélange musique électronique
             voix black de type Soul music prend : cest le début
            de lépoque disco puis Hi-NRG puis House music aux
            USA. En Europe les groupes post-punks utilisent les synthés
            : cest New Order, Depeche Mode, Yello, et bien sûr,
            apologie de la New Wave en France, le groupe " Partenaire
            Particulier " ! 
            Des groupes venant de lindustriel
            bruitiste et glacial sajoute à la vague électronique,
            notamment Cabaret Voltaire et SPK qui se lancent dans ce quon
            appelait alors le " funk industriel".  
            Sans oublier évidemment (ou
            malheureusement) Jean-Michel Jarre (" Oxygène ")
            et Vangelis qui font des compositions électroniques grand
            public.  
            Avec " Blue Monday " de
            NewOrder simpose, au début des années 80,
            le Maxi 45 tours qui devient loutil fondamental des DJs
            avec les platines. 
            La House music suit donc directement
            la disco (en 1979 " I feel love " de Donna Summer est
            la première chanson dans le genre pour ainsi dire) et
            sappelle au début la Hi-NRG. On retrouve la musique
            dans les boîtes gays et blacks, notamment le " Ware-House
            " de Chicago. 
             Les DJs mixent deux disques en
            même temps, modifient les sons, la vitesse, etc. 
            On en arrive pour la première
            fois à des sortes de chansons durant des heures (lun
            des principes de la techno). Mais il y a encore des voix, ce
            quon appelle désormais la House music est aussi
            proche de la Soul que de la musique électronique.  
            Ce nest quà la
            fin des années 80 que les choses changent, avec le Roland
            TB303 qui permet des sons transformant la House music en Acid
            house, qui est plus rapide (130-150 beats par minutes, la valse
            en a 80). 
            En Angleterre cest le mouvement
            de masse vers lAcid House, et lassimilation à
            la drogue, notamment le LSD (ce sont les années Thatcher)
            fait que la BBC refusera en 1988 de jouer le n°1 du Top,
            " We call it Acieeed ".  
            Une loi passe interdisant les rassemblements
            de plus de dix personnes écoutant de la musique répétitive.
            La musique change aussi, par recul peut-être aussi, le
            rythme descend en effet à 110 BPM et cest la NewBeat,
            qui explosera par exemple en Belgique (Front 242 nen est
            pas loin). 
            Et, à Detroit, ville où
            beaucoup de NoirEs vivent la misère et la crise de restructuration
            de lindustrie automobile, on supprime la Soul au profit
            du Funk : la techno est née.  
            Ce nest pas pour rien que
            le philosophe Alvin Toffler vient de Detroit et quil a
            publié " The Third Wave " en 1980, imaginant
            un monde dordinateurs, de communications électroniques,
            de contrôle génétique et de voyages dans
            lespace, un monde également composé dun
            nombre croissant de rebelles techno.  
            En 1985 Juan Atkins sort "
            No UFOs ", premier titre Techno. Lélectro disparaît
            au profit du " bumbumbum " techno, parallèlement
            hip hop se transforme en rap (on passe de Grand Master Flash
            à Public Enemy), plus brutal et plus du tout " peace
            " ni " zulu nation ". 
            Mais attention, ce nest toujours
            pas la techno que lon connaît. La techno de Detroit
            est encore plutôt funky. La techno daujourdhui
            est en effet de la techno house, qui vient de la rencontre entre
            lAcid House (de Chicago donc) et la Detroit Techno. 
            La techno house a subi, en Europe
            surtout, linfluence de lélectro (Front Line
            Assembly, KMFDM, Front 242, Die Krupps, DAF
) et est devenu
            plus brutal (dans ses versions hardcore, gabber
). 
            Jusque là, parce que Front
            Social est là pour analyser la lutte de classes et pas
            seulement causer musique, tout est underground, il ny a
            pas ou peu dinfluence du monde capitaliste dans la production
            musicale (même sil y a des récups, comme par
            exemple Blondie, Malcolm McLaren ou Nina Hagen faisant un "
            rap ").  
            Les disques sortent à peu
            dexemplaires et sont surtout dirigés vers les Djs.
            Les groupes comme NewOrder ou Cabaret Voltaire refusent toute
            médiatisation. 
            Mais
 Les compagnies de disque
            sintéressent au phénomène, dautant
            plus que certaines chansons house ont bien marché (Yazz
            : " The only way is up ! ").  
            Si aux USA la techno na jamais
            été " mainstream " (dominante) à
            cause du HipHop, de la House et du punk-rock des campus universitaires,
            en Europe la techno grandit de plus en plus, il suffit de penser
            à la Love Parade qui a commencé avec une centaine
            de personnes et attirent désormais des centaines de milliers
            de " ravers ". 
            La techno sest également
            diversifiée, même si chaque ramification a été
            happée par le capitalisme au bout de trois ans en moyenne.
             
            La trance, à partir de 1991,
            est de la techno rapide (140-160BPM) mais ayant des vagues minimales,
            monotones et hypnotiques (doù le terme de trance),
            reprenant les principaux musicaux dInde (il y aura également
            la trance de Goa, plus mélodique. Goa est au Sud de lInde
            et les technoïdes occidentaux riches y vont pour écouter
            la musique sur la plage
).  
            Disponibles depuis longtemps dans
            les supermarchés dans des versions aseptisées ou
            au contraire caricaturées. 
            La techno hardcore (150BPM) attire
            ceux/celles qui veulent du destroy, le rythme est tellement rapide
            quil est impossible de le suivre. On simagine alors
            ce quest la Gabber (180-200BPM), très écouté
            aux Pays-Bas, sans parler des Noise Sounds, où le rythme
            est noyé sous les bruits agressifs. La Gabber (=pote en
            néerlandais) est LA musique des fans de foot néerlandais,
            et les labels ont été obligé de se donner
            des noms explicitement antifascistes à cause des skins
            et des hooligans. 
            Une moindre commercialisation a
            apparemment touché lambient, qui est déjà
            plus intello. Brian Eno, ex-membre du groupe Roxy Music, a avec
            son album de 1978 " Music for airports " véritablement
            crée le style.  
            La musique est minimale, bruit de
            fond, on y fait pas attention. On retrouve la musique dans les
            séries télés, dans les pubs et les supermarchés
            (le groupe Yello sétait déjà lancé
            dans ce " marché "). 
            Il y a enfin la Jungle, le Drum
            & Bass et le Breakbeat. La Jungle est la continuation du
            Raggamuffin, avec des grandes voix dhommes noirs tchatchant
            en jamaïcain sur des rythmes rapides ; la drum & bass
            ce sont des rythmes à partir de batteries et de basses,
            le breakbeat des bruits de batterie répétés
            cassant les têtes. 
            La techno est donc devenu un marché
            commercial, et on est loin du premier " sample " de
            lhistoire, à savoir lintégration de
            la " Marseillaise " dans louverture de 1812 de
            Tchaïkowsky, qui raconte les aventures napoléoniennes
            en Russie.  
            Les productions technos de masse
            nont donc en tout cas que peu à voir avec lutilisation
            de lélectronique en musique.  
            Elles sont extrêmement éloignés
            de leurs lointaines origines, une preuve en est la profonde méconnaissance
            de lhistorique ici présenté chez les "
            professionnels " du marché (journalistes techno et
            autres, voire chez beaucoup de DJs). 
            Partir de ces styles musicaux peut
            être un point de départ pour comprendre la musique
            contemporaine, et éviter dadorer ou dignorer
            la techno commerciale.  
            Le capitalisme aplanit les styles
            musicaux pour les faire gober à un maximum de gens, rentabilité
            oblige, alors que lidéal et la logique musicale
            veut quau contraire il y ait beaucoup de communautés
            musicales, avec évidemment des interférences. Les
            exemples daseptisation  Europe pour le Hard et Heavy
            Metal, Offspring pour le Punk, etc.  sont plus que nombreux.
 
 
            A chaque fois la scène musicale indépendante est
            écrasée par la pression capitaliste, pendant que
            la nouvelle génération reprend les apparences sans
            se douter quil y a un contenu (le sort du rock indépendant
            en France est caricatural : avec la Mano Negra et grâce
            à Molodoï qui profitait de laura Béruriers
            Noirs tout sest commercialisé vitesse grand V). 
            On comprend limportance dune
            politique révolutionnaire conscientisant les acteurs/actrices
            de la musique à ces phénomènes. 
             
             
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