André
MARTY
Membre du Comité Central
du Parti Communiste Français,
Député de Paris.
PIERRE
SEMARD
ALGER, le 22 août 1944.
Le 7 mars 1942, les Hitlériens
ont fusillé Pierre Sémard, Secrétaire général
de la Fédération des Cheminots, membre de la Commission
Administrative de la Confédération Générale
du Travail, membre du Comité Central du Parti Communiste
Français.
Son nom rappelle plus de 30 années entières qu'il
a consacrées à la défense des intérêts
de la classe ouvrière et du Peuple français, plus
de 30 années de lutte et de sacrifices.
Sémard était connu et aimé, non seulement
dans son pays natal, le département de Saône-et-Loire,
fief des puissants Schneider du Creusot et l'une des plus anciennes
régions métallurgiques et prolétariennes
françaises ; toute la classe ouvrière de France
le connaissait et l'aimait.
L'ORGANISATEUR
DES CHEMINOTS
Sémard était cheminot, fils de cheminots. Son père
était un travailleur du rail, un cantonnier. Sa femme
était garde-barrière. Sa femme est la fille d'un
mécanicien, qui perdit les deux jambes dans un accident
de chemin de fer.
Pierre Sémard commença sa vie de labeur à
l'âge de 15 ans, comme cheminot.
Toute sa famille travaillait à
la même gare, à Valence.
En 1906, alors qu'il n'avait que
19 ans, il aida puissamment à l'unification des syndicats
de cheminots dans le département de la Drôme.
De là, date le début
de sa lutte pour un mouvement syndical uni, puissant et combatif.
Il fut un des syndicalistes qui, en 1915, parvinrent à
unifier les différents syndicats de cheminots de Saône-et-Loire.
Dès 1916, il était
à la tête du syndicat unifié des cheminots
de Valence, c'est là en pleine guerre mondiale et après
les conférences de Zimmerwald et de Kienthal qu'il adhéra
au Parti Socialiste, au moment donc où il y avait des
coups à recevoir et non des sinécures à
prendre.
En 1917, il fut élu membre
de la Commission executive de l'Union des Syndicats de Cheminots
du P.-L.-M.
A partir de cette époque, grâce à la remarquable
énergie de Pierre Sémard et d'hommes de sa trempe,
les travailleurs des chemins de fer constituèrent la force
la mieux organisée de la classe ouvrière française.
En 1921, au 4me Congrès de la Fédération
des Cheminots, qui comptait déjà 120 000 membres,
Sémard fut élu Secrétaire général.
Véritable leader ouvrier, Pierre Sémard professait
les plus nobles principes. Il mena une lutte incessante contre
les traîtres et les renégats de la direction fédérale
et réussit à les battre.
Mais ces renégats ne voulurent
pas se soumettre à la démocratie syndicale et firent
la scission, cependant ils ne furent suivis que par une faible
minorité, de sorte que Pierre Sémard resta Secrétaire
général de la Fédération Unitaire
des Cheminots qui groupait les trois-quarts des cheminots organisés.
En 1931, les travailleurs du rail réélurent Sémard
à la direction de la Fédération Unitaire.
En 1936, après que l'unité
du mouvement syndical français eut été reconstituée
en pleine bataille contre le fascisme, Sémard fut élu
Secrétaire de la Fédération unifiée
des cheminots de France et d'Algérie et membre de la Commission
Administrative de la C.G.T.
Tribun populaire, organisateur dévoué des travailleurs,
militant ardent de l'unité ouvrière, fondement
de l'unité du peuple entier ; tel était Pierre
Sémard, patriote et révolutionnaire : les enseignements
de Lénine et de Staline avaient forgé ce type magnifique
de combattant intrépide et ferme.
Dès les premières journées de la Grande
Révolution Socialiste Russe de 1917, Sémard se
dressa pour la défendre. Durant toute sa vie il montra
que la Russie nouvelle est la grande amie du Peuple français,
sa plus loyale alliée, le bastion le plus solide et le
plus sûr, sur la voie du progrès et de la liberté.
En 1919, à la fin de la première guerre mondiale,
alors que la réaction française s'efforçait
d'écraser les masses sous le lourd fardeau des charges
de guerre, de leur restreindre leurs libertés et avant
tout leurs libertés syndicales conquises au cours d'un
siècle de luttes, les cheminots se levèrent pour
défendre leurs droits, entraînant l'ensemble de
la classe ouvrière dans les grèves générales
de 1919-1920. Sémard fut, avec Lucien Midol, un des dirigeants
les plus marquants de ce gigantesque mouvement qui devait réussir
à sauvegarder les libertés populaires.
En 1922 Pierre Sémard connut le grand honneur d'un entretien
personnel avec Lénine, signe de la valeur que ce dernier
attribuait à son uvre.
En janvier 1923, lors de l'occupation de la Rhur par la réaction
française, qui allait nourrir Hitler et ses bandes fascistes,
Pierre Sémard figurait parmi les signataires du célèbre
manifeste des leaders révolutionnaires du mouvement ouvrier
français et allemand qui faisait appel à l'action
commune contre les réactionnaires des deux pays.
Pour cet appel hautement patriotique,
Sémard, avec Gabriel Péri et d'autres militants
du mouvement syndical unitaire et du Parti Communiste, fut traduit
devant la Haute-Cour.
Et ce sont les collaborateurs Pucheu et Laval, ceux qui ont jeté
le peuple français sous le joug abject de Hitler, qui
ont fait assassiner Sémard et Gabriel Péri et tant
d'autres, parce qu'ils luttèrent pour l'alliance véritable
des peuples français et allemand contre les Hitler et
les Laval.
Cependant les masses populaires
françaises firent alors échec aux manuvres
de la réaction, Sémard, Péri et les autres
accusés furent acquittés.
Dès qu'il eût quitté la prison, Sémard
se jeta de nouveau dans l'ardente bataille qui devait décider
du sort des travailleurs de France pour l'avenir immédiat.
Il s'agissait de savoir si la Confédération
Générale du Travail Unitaire, qui rassemblait les
syndicats les plus importants et les plus actifs allait rompre
complètement avec les anarcho-syndicalistes pour prendre
le chemin de la véritable défense des intérêts
des masses laborieuses, inséparables de ceux de l'ensemble
du Peuple français.
La lutte, suscitée par la
réaction au sein de la C.G.T.U., devenait chaque jour
plus aiguë. Au Congrès de Bourges, en septembre 1923,
la motion Sémard obtint l'écrasante majorité
des voix : elle demandait que la C.G.T.U. engage un combat infatigable
pour la défense des travailleurs.
Tels sont les services inappréciables qu'à cette
époque Pierre Sémard avait rendus à la classe
ouvrière et au Peuple français. Ce n'était
là pourtant qu'une toute petite partie de ce qu'il devait
accomplir au cours des quinze années qui suivirent.
LE DIRIGEANT
COMMUNISTE ET L'ARMÉE FRANÇAISE
En janvier 1924, Pierre Sémard fut élu membre du
Comité Central du Parti Communiste Français, au
mois de juin de la même année, il en devint le Secrétaire
général. Commentant cette décision du Bureau
Politique du P.C.F., L'Humanité écrivait :
Pierre Sémard
est le type consommé de l'ouvrier communiste. Il a consacré
toute sa vie à la lutte active et pleine d'abnégation
pour la cause des travailleurs. La désignation de Sémard
à la tête du Parti Communiste est le symbole de
la volonté du Parti de collaborer loyalement et sans réserve
avec les organisations syndicales.
A ce moment là, le P.C.F. se trouvait encore en voie de
formation. En utilisant la violence et la ruse, les ennemis des
travailleurs et du peuple français en général
essayaient sans cesse d'influencer le Parti, à la fois
de l'intérieur et de l'extérieur et de le faire
dévier de la bonne route.
Il fallait expliquer et défendre
infatigablement la ligne communiste, convaincre et organiser,
montrer la juste voie, sans négliger une minute le travail
quotidien du Parti.
Il fallait chasser du Parti les déviations petites bourgeoises.
Sémard sut trouver la ligne juste lorsque en janvier 1925,
au Congrès de Clichy, il fut décidé dans
l'enthousiasme la réorganisation du Parti sur la base
des cellules d'entreprise.
Une solide base prolétarienne
allait transformer le P.C.F. qui allait devenir ainsi une des
forces essentielles de l'Unité Nationale et allait pouvoir
- sans défaillance - tenir tête victorieusement
à la scientifique et féroce Gestapo.
Précisément en 1925 les ploutocrates français
déclenchaient la guerre du Rif en vue d'augmenter leurs
profits.
En sa qualité de dirigeant
du Parti Communiste Français, Pierre Sémard appela
le Peuple français à fraterniser avec les Marocains
; car il voyait dans cette solidarité une des garanties
de la liberté et de la sécurité françaises.
Dans les années qui suivirent, Sémard eut également
à faire face à une tâche difficile, celle
qui consistait à mener une lutte sans merci contre les
provocateurs trotskistes qui essayaient de prendre pied au sein
du mouvement ouvrier français pour se transformer ensuite
en agents avoués des hitlériens.
Il fallait écraser la trahison,
combattre les hésitations et le manque de clarté.
Il suffira de rappeler les noms
des coquins contre qui Sémard eut alors à lutter
pour saisir l'importance et l'ampleur de l'uvre qu'il mena
à bien. C'était Frossard, aujourd'hui valet de
la réaction vichyssoise qui se considère lui-même
comme le père de " l'idée fasciste de la Révolution
Nationale " ; c'était ce bandit de Souvarine, trotskiste
et hitlérien conséquent ; c'était le "
métallurgiste " Roy et l'infâme Dumoulin, aujourd'hui
agents directs de Abetz, l'ambassadeur d'Allemagne à Paris.
En 1927, l'ennemi lui-même prouva combien il redoutait
l'activité de Sémard en le jetant de nouveau en
prison.
C'est ainsi qu'au feu des dures
batailles qui ont rempli une période de plus de 10 ans,
furent éduqués les cadres éprouvés
du Parti Communiste et des Syndicats qui, en 1934-1936, allaient
lancer et organiser le formidable mouvement en faveur de l'unité
des travailleurs, puis de l'unité de la Nation Française
tout entière contre le fascisme.
Il faut toujours avoir présent à la mémoire
le fait que la constitution du front unique prolétarien
et du front populaire ne fut possible dans notre pays que parce
qu'y fut édifié, au prix de la lutte la plus acharnée
et des plus grands sacrifices, un Parti ouvrier d'un type nouveau,
le Parti qui suivit avec fermeté la voie de Lénine
et de Staline et qui devint la base de la victoire du peuple
français dans son combat contre le fascisme intérieur.
Ainsi Pierre Sémard fut un des militants dont l'activité
contribua le plus à la croissance et à la consolidation
du Parti Communiste Français.
En juillet 1936, peu après la victoire du Front Populaire,
les fascistes allemands et italiens déclenchaient la guerre
contre l'Espagne républicaine avec l'aide de Franco et
de la Phalange.
Pierre Sémard ne se donna
pas seulement avec ardeur à l'agitation pour l'Espagne
républicaine, en soulignant que chaque Français
devait aider le peuple espagnol - garantie de la sécurité
de la France - mais de même que Jean Catelas, député
d'Amiens guillotiné au mois de septembre 1941, sur condamnation
d'un tribunal pétainesque, il fut parmi ceux qui s'efforçaient
d'apporter la plus grande assistance pratique possible à
ce peuple.
Nuit et jour, Sémard et les
travailleurs français du rail étaient en état
d'alerte ; grâce à leur vigilance l'Espagne républicaine
reçut toutes les armes qu'il était possible de
leur faire passer, étant donné le sabotage des
gouvernants français d'alors.
En septembre 1938, l'infâme accord de Munich est signé
; aussitôt les valets d'Abetz, les Dumoulin et les Belin,
tentèrent de l'utiliser comme moyen de rompre l'unité
syndicale, démolissant ainsi les fondations du Front Populaire
et livrant le peuple français à la merci de Hitler
; mais l'écrasante majorité de la Fédération
des Cheminots, dirigée par Sémard, condamna au
contraire la politique munichoise et déclara qu'elle ne
signifiait nullement la paix, mais la guerre, guerre dont la
première victime, après la Tchécoslovaquie,
serait la France.
C'est en premier lieu à l'indéfectible fermeté
de ces militants, formés à l'école du Parti
Communiste et des syndicats durant les dures années de
bataille contre tous les ennemis du peuple de l'intérieur
et de l'extérieur, que la France est redevable de l'actuelle
grande unité nationale populaire, contre les oppresseurs
hitlériens, cette unité qui leur porte des coups
nombreux et décisifs et a rendu possible la grande insurrection
nationale libératrice.
C'est à ses fils de la trempe
de Pierre Sémard que la France doit tout.
Telle fut la vie magnifique et fière de Pierre Sémard.
Sa mort ne devait pas être moins héroïque.
"JE
MEURS
CERTAIN DE LA VICTOIRE "
Le 2 septembre 1939, le jour même
où la guerre éclata, Pierre Sémard était
mobilisé.
Afin de l'empêcher de continuer
à remplir ses fonctions de Secrétaire général
de la Fédération des Cheminots, De Monzie, ministre
des Travaux publics aujourd'hui hitlérien le relégua
comme employé à la gare perdue de Loches, dans
le département d'Indre-et-Loire.
Cependant, même dans ce coin isolé, Sémard
ne cessa pas son activité.
Avec l'allant qui l'animait, il
continua la lutte pour les intérêts des cheminots,
de tous les travailleurs, du peuple français. Voilà
pourquoi il fut arrêté une fois de plus au cours
du mois d'octobre 1939, par ordre de De Monzie.
Cet aventurier dont la vénalité
est devenue proverbiale en France, accusa Sémard de "
détournement de fonds syndicaux " parce que ce dernier
s'était refusé à livrer à ses émissaires
les un million et demi de francs en possession de la trésorerie
générale de la Fédération des Cheminots.
Le 6 avril 1940, Sémard était jugé par le
même Tribunal militaire de Paris qui venait de condamner
les députés communistes.
Le tribunal ne put exécuter
les ordres de De Monzie et il fut contraint d'abandonner la vile
accusation de "détournement de fonds syndicaux "
portée contre Sémard.
Malgré tout le dit tribunal
le condamna à trois années de prison pour son appartenance
au Parti Communiste.
Sémard fut enfermé à la Prison de Bourges.
C'est là que le trouvèrent
le désastre et la capitulation de la France. Les capitulards
et les traîtres avaient livré la France et son armée,
ils livrèrent aussi à l'ennemi un des meilleurs
fils de France, Pierre Sémard.
Les agents de la Gestapo exultaient.
Ils utilisèrent tous les moyens à leur disposition
pour essayer d'ébranler l'inébranlable Sémard.
Ils lui firent savoir que sa femme avait été condamnée
à 10 ans de travaux forcés ; il ne vacilla pas.
Alors ils eurent recours à
la torture. Le coquin de Pucheu accourut à l'aide des
bourreaux de la Gestapo. Une lutte terrible commença derrière
les murailles épaisses de la prison de Bourges.
Les ennemis savaient quel était le prestige de Sémard
parmi les cheminots, combien chacune de ses paroles avait de
poids pour eux et pour l'ensemble de la classe ouvrière
française. Ils essayèrent de lui arracher une renonciation
à ses opinions et de faire de ce grand Français
un instrument de leur odieuse oppression. Quand ils se rendirent
compte qu'ils n'y parviendraient jamais, ils exécutèrent
Pierre Sémard.
Quelques minutes avant d'être fusillé, Pierre Sémard
écrivit la lettre ci-après, adressée au
Comité Central du Parti Communiste.
Chers amis,
Une occasion inespérée me permet de vous transmettre
mon dernier mot, puisque dans quelques instants je serai fusillé.
J'attends la mort avec calme. Je démontrerai à
mes bourreaux que les communistes savent mourir en patriotes
et en révolutionnaires.
Ma dernière pensée est avec vous, camarades de
lutte, avec tous les membres de notre Grand Parti, avec tous
les Français patriotes, avec les héroïques
combattants de l'Armée Rouge et son chef, le grand Staline.
Je meurs avec la certitude de la libération de la France.
Dites à mes amis, les cheminots, que ma dernière
volonté est qu'ils ne fassent rien qui puisse aider les
nazistes.
Les cheminots
me comprendront ; ils m'entendront ; ils agiront; j'en suis convaincu.
Adieu, chers amis, l'heure de mourir approche. Mais je sais que
les nazistes, qui vont me fusiller, sont déjà vaincus
et que la France saura poursuivre le grand combat.
Vivent l'Union Soviétique et ses Alliés ! Vive
la France.
Pierre SÉMARD.
Sous le coup qui atteignait notre
Parti par l'irréparable perte de Pierre Sémard,
l'auteur de ces lignes écrivait en mars 1942, quelques
jours après le crime :
" Tous les Français qui veulent savoir ce qu'il
faut faire pour délivrer la France de l'horrible cauchemar
du temps présent, tous nos amis lointains qui veulent
savoir si la France tient tête, n'ont qu'à lire
et à retenir le dernier message de Pierre Sémard.
Tous les Français comprendront
clairement ce qu'il -faut faire, tous les amis de la Nation française
verront comment ils peuvent l'aider.
" Les hideux, gangsters hitlériens torturent, fusillent
et égorgent des milliers d'hommes, comme Pierre Sémard,
Jean Catelas et Gabriel Péri, mais la cruauté de
l'ennemi est le signe de sa faiblesse croissante. Déjà
on peut entendre les premières rafales de la formidable
tempête qui porte dans ses flancs la destruction du fascisme.
"
Seize mois ont suffi pour que la tempête irrésistible
de l'Insurrection Nationale libère Paris et la France
de la souillure du fascisme allemand et français.
Dans cette bataille unique dans l'Histoire, les cheminots, appliquant
les ultimes directives de leur grand dirigeant, tiennent la tête
!
Et les communistes et jeunes communistes formés par le
grand Parti dont Pierre Sémard fut un des fondateurs éminents,
ont compris ses leçons, inspirées des prestigieux
enseignements de Lénine et de Staline.
Union ouvrière,
Union populaire,
Union nationale.
Pour l'action féconde, sans recul, d'où doit sortir
par l'effort de tous la France nouvelle, libre, démocratique
et indépendante.
|
|