CRITIQUE ET AUTOCRITIQUE

Gaston Monmousseau
(1949)



La critique et l'autocritique, à la lumière de la théorie marxiste, sont la condition d'une activité militante juste dans ce sens qu'elles posent le problème de l'analyse du mouvement des masses sous tous ses aspects, des conditions de son développement, de l'analyse du mécontentement des travailleurs à tous les stades de l'exploitation capitaliste, de leurs désirs revendicatifs et de leur état d'organisation afin d'établir les conditions de leur entrée en lutte et de leur victoire.

La critique et l'autocritique, à la lumière de la théorie marxiste, sont la condition d'une activité militante juste dans ce sens dans ce sens que c'est le seul moyen qu'il y a de tirer toutes les leçons de chaque expérience, en en recherchant les erreurs ou les faiblesses, en les analysant pour en découvrir les causes jusqu'à la racine afin de les corriger.



Il faut donc faire du bon travail et la critique et l'autocritique sont les seuls moyens de bien travailler.

Nous autres, militants avons précisément besoin de faire beaucoup d'efforts pour exprimer avec des mots simples, des idées claires traduisant les changements qui s'opèrent sous nos yeux.

Lorsqu'une vérité se fait jour dans notre esprit, nous oublions, le plus souvent, que la veille encore elle nous échappait.

Alors on fait son seigneur, on se répand en affirmations, on s'étonne que tout le monde n'ait pas compris en même temps ce que nous avons ignoré nous-mêmes pendant toute notre vie passée : on pontifie.

La connaissance du rôle de la critique et de l'autocritique est capitale pour un militant.

Elle le fait redescendre les pieds sur la terre.

Elle lui fait comprendre que tout progrès dans les idées est le résultat d'efforts permanents qu'il a dû faire lui-même. Elle l'aide à comprendre l'inégalité du développement de la lutte des classes et du niveau politique des masses, l'influence des idéologies bourgeoises et des campagnes réactionnaires dans la conscience des travailleurs.

La connaissance du rôle de la critique et de l'autocritique rapproche le militant des masses, l'oblige à se faire, compréhensif, à demeurer fraternel et modeste, et non paternaliste et pédant.

Pour bien connaître et aimer les masses il faut d'abord se bien connaître et se souvenir du chemin parcouru, c'est le seul moyen de se sentir de leur classe et de ne pas pontifier.

Je crois qu'il était nécessaire de faire descendre la question sur ce plan pour aider nos militants à passer de la critique et de l'autocritique mécaniques et inconscientes à la critique et à l'autocritique conscientes.

Un certain nombre de camarades, en effet, se refusent à la critique et à l'autocritique ou ne se livrent qu'à une critique ou à une autocritique formelle.

En allant au fond de ce refus ou de cette caricature d'autocritique on découvrira toujours soit un esprit de suffisance, soit des blessures d'amour-propre.

C'est la caractéristique du pontife qui ne veut pas s'être trompé, qui vit sur le passé, sur son expérience acquise, sur des idées acquises une fois pour toutes et qui, par conséquent, se trompe en trompant les autres.

Le matérialisme dialectique nous enseigne que tout, dans la nature, chez l'homme, dans le mouvement des classes et dans la société socialiste est le produit des oppositions, des contraires, c'est-à-dire d'un combat permanent.

C'est un combat permanent entre ce qui naître et ce qui va disparaître, entre ce qui naît et ce qui disparaît, entre l'avenir et le passé.

La pensée de l'homme qui est le reflet de la vie, est le produit de ce même combat.

Il s'ensuit que la pensée reflète la double pression du passé et de l'avenir, de ce qui est transmis et acquis et de ce qui va naître et s'imposer.

L'habitude de faire ceci, de faire cela de telle manière, à tel moment, dans un cadre habituel, l'habitude n'est rien d'autre que la force du passé et pour avancer dans une autre direction, avec d'autres moyens, il nous faut combattre et vaincre l'habitude.

Il n'y a pas de bonnes habitudes : il y a de meilleures méthodes d'activité.

L'habitude est le résultat d'un état d'esprit donné à un certain moment, elle se prend et s'incruste en nous en raison de l'apparence d'immobilité du mouvement qui nous entoure, entre des changements brusques que nous n'avons pas prévus.

On a l'habitude de fumer sa pipe sans penser qu'elle peut nous indisposer et on ne se prend à combattre cette habitude que lorsque l'on ressent l'indisposition.

Et encore remet-on souvent à demain, et d'un jour à l'autre, la décision qu'il nous faut prendre, tellement l'habitude de penser et d'agir de telle et telle manière est ancrée en nous.

L'habitude sclérose la pensée qui se rapporte à elle : l'habitude devient ce qu'on appelle une seconde nature.

On prend des habitudes bureaucratiques et on pense bureaucratiquement. La force du passé l'emporte sur l'autre. On la défend contre qui la discute.

Elle est en vous.

Elle vous empêche d'analyser et de voir clair et on pontifie sans s'en rendre compte.

Seules la critique et l'autocritique conscientes nous rendent capables d'analyser ce qu'il y a d'habitudes en nous, quelles en est la nature, et de les combattre quand elles nous empêchent d'avancer.

On ne s'imagine pas ce que la morale bourgeoise a laissé de traces en nous.

Vous prenez la parole dans une assemblée syndicale ou un congrès, vous commettez une erreur flagrante sur tel sujet, vous tapez à côté, quelqu'un vous interrompt pour dire que vous vous trompez : c'est "un adversaire" -si c'est est un il n'empêche que sur ce point il a raison- mais vous voilà parti, vous enfonçant dans votre erreur, essayant de prouver que ce n'en est pas une, ou vous "déshabillez" l'interrupteur : question "d'amour-propre".

Des amis, naturellement, vous applaudissent, vous êtes content, vous vous dites et vous leur dites : je lui ai rivé son clou : "suffisance".

Vous avez "rivé" les auditeurs attentifs et impartiaux à la conviction que vous avez tort et que ce n'est pas sérieux pour un militant : "mauvais travail".

Un camarade commet une faute contre ses camarades ou contre l'organisation, il le sait mais n'en veut pas convenir, question "d'amour-propre" : "moi" au-dessus de tout, "vous le savez aussi, mais vous le soutenez" : question "d'amitié personnelle" : l'amitié personnelle au-dessus de tout, l'intérêt de la vérité et de l'organisation viens après.

Mais ce "moi" au-dessus de tout n'est pas aussi d'aplomb sur ses jambes qu'il se l'imagine.

Il cherche aussitôt des points d'appui autour de lui parmi ses "amitiés personnelles" ou d'autres "moi" aussi chancelants que lui; s'il en trouve au sein de l'organisation c'est un "clan", un clan contre l'organisation.

De là il en cherche ailleurs, en dehors de l'organisation, il en trouve sans tarder parmi les adversaires : le "moi" au-dessus de tout ne marche plus qu'avec son fil à la patte vers le camp de la bourgeoisie qu'il baptisera pompeusement : "camp de la liberté" : cela s'appelle trahir sa classe.

La morale bourgeoise sert d'alibi et, chose curieuse, elle permet de vivre misérablement, méprisé, sans remords de conscience, car la conscience bourgeoise permet de vivre ainsi.

La morale bourgeoise nous empêche de nous dire franchement ce que nous devrions nous dire sans gêne aucune et sans risque de troubler en quoi que ce soit nos rapports de camaraderie.

Un camarade a été placé à un poste.

Il est sérieux, honnête, fait ce qu'il peut, mais il s'avère que ce poste ne correspond pas à son niveau général. Il lui manque une qualité, et c'est précisément celle-là qu'il lui faudrait.

S'il fait son autocritique il s'en apercevra, il n'aura pas la conscience tranquille.

Mais ce n'est pas si simple.

Si ma manche est déchirée au coude, mon voisin le découvrira plus facilement que moi-même.

On vit dans sa peau et on n'y voit pas toujours clair, on devrait être reconnaissant aux amis qui nous ouvrent les yeux comme au médecin qui vous avertit du danger.

Si je me sens grippé je le dis bien.

Si l'on m'en fait la remarque je ne m'en fâche pas, et si l'on insiste pour que je me soigne je ne crierai pas contre je ne sais quelle entorse à l'amitié, j'irai me coucher.

Mais dans le cas du militant auquel il manque une qualité ou autre chose, voilà que s'interpose la question d'amour-propre, la peur de le heurter, de porter atteinte aux rapports d'amitié.

Comme c'était un déshonneur de ne pas connaître tout, de ne pas être parfait, de ne pas savoir ou pouvoir tout faire, de ne pas être en un mot un militant universel.

Comme si c'était un déshonneur de vieillir, de sentir qu'on ne peut plus brasser tant de choses à la fois et qu'il faut concentrer ses efforts là où l'on peut mieux faire.

Pour dire ce que nous pensons à notre bon camarade jeune ou vieux ou ni l'un ni l'autre, nous prenons la chose de loin, nous tournons autour et même il arrive que, las de tourner autour, nous lui cassons le morceaux sans aucun ménagement cette fois, sans explication, à moins que nous lui fassions faire la commission.

Dans bien des cas les précautions sont nécessaires pour ne pas décourager des camarades qui n'ont pas accompli au même moment que nous le pas qui sépare la critique inconsciente de la critique consciente.

Mais je trouve que le plus souvent, cet embarras entre camarades témoigne d'une amitié formelle, superficielle, conventionnelle, qu'il est le reflet de rapport de fausse politesse petite-bourgeoise, qu'il conduit à l'hypocrisie, à l'accumulation des critiques, puis à des griefs réciproques, aux cancanages, et qu'il nuit aux rapports de réelle amitié qui doivent exister entre militants : se dire ouvertement, tranquillement la vérité, nous soumettre ensemble volontairement, consciemment, ouvertement et tranquillement à la critique et à l'autocritique, comme à une fonction nécessaire de l'activité militante.

Cette lutte que nous menons, c'est la lutte entre la nouvelle et la vieille morale, entre ce qui rentre en nous de l'homme nouveau et ce qu'il y a ou ce qui reste en nous d'individualisme petit-bourgeois.

Les blessures d'amour-propre, l'esprit de suffisance et le sectarisme par rapport à la critique et à l'autocritique conscientes sont les manifestations typiques de la morale et de l'individualisme petit-bourgeois basé sur l'appropriation individuelle des richesses et moyens de production : la liberté individuelle d'exploiter autrui, l'individu au-dessus de tout, libre de mentir, de se débrouiller aux dépents de n'importe qui, etc...

La critique et l'autocritique conscientes de notre comportement individuel et de notre activité militante sont les ressorts de la transformation de la conscience bourgeoise en conscience révolutionnaire.

La morale qui nous permet de confronter nos pensées et nos actes selon des principes nouveaux est fondée sur les principes d'une société nouvelle, sur les principes d'une société sans classe, sur de nouveau rapports de production entre les hommes, sur les principes d'une société socialiste et communiste.

Mais déjà cette conscience révolutionnaire a les éléments permanents de sa formation et de son développement dans le développement de la classe ouvrière et dans nos rapports avec les masses.

C'est dans la notion de nos devoirs envers la classe ouvrière que nous devons soumettre notre comportement à la critique et à l'autocritique, à l'autocritique intérieur ou publique, selon les cas et la nécessité.

La critique et l'autocritique ne sont pas des articles de foi, ni d'opportunité tactique, mais une loi de la dialectique établie à la lumière du matérialisme dialectique.

C'est par la critique et l'autocritique conscientes que nous arrivons à refouler en nous la morale réactionnaire bourgeoise et ce qui reste en nous d'individualisme petit-bourgeois, que nous nous délivrons des idéologies réactionnaires qui servirent et servent encore aux pontifes du système capitaliste à gouverner les peuples qu'ils oppriment.

C'est ainsi que nous nous préparons à notre rôle de guides d'une humanité nouvelle fondée sur une morale supérieure.