Union des Communistes de France (Marxiste-Léniniste)
ÉDIFICATION DU PARTI ET QUESTION SYNDICALE
1975
La tempête révolutionnaire de Mai 68 a mis à nu, en France, la
force et la profondeur de la contradiction qui oppose le mouvement
de masse ouvrier à ses soi-disantes organisations « légitimes » :
les syndicats.
Cette contradiction n'a certes pas été produite par Mai 68. Elle
s'accumulait, depuis des années de combat, comme élément
constitutif des positions de classe de l'avant-garde ouvrière.
Déjà
en 1963, la brutale révolte des mineurs s'était soldée, au moment
de la reprise bureaucratiquement contrainte, par quelques notables
syndicaux sérieusement bousculés.
En 1967, dans les rues de Caen,
les O.S. de la Saviem mènent la vie dure aux C.R.S.: les syndicats
dénoncent ces ouvriers « mal éduqués », qui, issus du paysannat
pauvre de la région, ignorent les politesses et les cérémonies du
syndicalisme de négociation.
L'histoire subjective, longtemps cachée, du prolétariat d'après-
guerre, c'est la scission, combat de classe après combat, entre
l'avant-garde ouvrière immédiate - les ouvriers de la gauche du
mouvement de masse - et le syndicalisme.
En Mai 68, il arriva que ce secret n'en est plus un ; que ce qui se
cumulait dans une mémoire ouvrière dispersée se rassemble et éclate
dans une orientation qualitative neuve et essentielle : l'anti-
syndicalisme ouvrier devient, à l'échelle d'ensemble. un fait
idéologique de classe.
Cet anti-syndicalisme, nous montrerons qu'il est la forme de masse
primordiale de la critique prolétarienne du révisionnisme moderne.
En 1968, l'anti-syndicalisme ouvrier est certes spontané, confus.
Mais il est aussi, déjà, la synthèse, au premier niveau, d'une
expérience historique prolongée : celle de la lutte entre les deux
voies, entre révisionnisme et position prolétarienne, telle qu'elle
se donne, sous une forme pratique, sauvage, dans toute lutte de
classe un peu sérieuse. De là que l'anti-syndicalisme, en Mai 68,
est massif, global.
C'est sur tous les aspects de la nature de classe du mouvement que
les masses ouvrières, levées contre le capitalisme et son Etat, ont
rencontré sur leur chemin, en 1968, l'obstacle syndical.
Les
syndicats ont brimé l'aspiration essentielle à la démocratie de
masse ; ils ont fait barrage, de tout leur poids, à l'irruption de
la violence révolutionnaire ; les ouvriers se sont certes battu,
durement, et victorieusement, à Flins ou à Sochaux.
Mais en dehors
des syndicats, contre le voeu et le gré des syndicats ; mais aux
côtés de la jeunesse, que les syndicats essayaient de tenir à
l'écart des usines, divisant le mouvement, entretenant
l'ouvriérisme borné et réactionnaire de la « revendication »
d'usine, quand on était dans la plus grande tempête politique
depuis 1947 au moins.
Sur les enjeux mêmes de Mai 68, la discordance entre les ouvriers
révolutionnaires, combatifs, ou même simplement décidés, et les
syndicats, est totale.
C'est ce qui s'avère au coeur même du
mouvement historique, quand les masses ouvrières de Renault-
Billancourt noient sous les huées les « positions » de Séguy - les
scandaleux accords de Grenelle.
A cet instant décisif, sur les seules ressources de l'anti-
révisionnisme spontané le prolétariat de la métallurgie brise la
lugubre « fin de grève » cuisinée par Séguy et Pompidou.
Et ce que
le prolétariat affirme ainsi, ce n'est pas principalement son refus
de tel ou tel résultat de la négociation, mais la conception même
d'une négociation de ce type, sans mesure aucune, à ses yeux, avec
le souffle politique révolutionnaire du mouvement de masse.
Le prolétariat, levé en tant que classe, affirme brutalement
qu'entre ses aspirations immédiates, entre sa force globale, et la
conception syndicaliste de la négociation, il y a un fossé
infranchissable. Classe contre classe, et les révisionnistes de
l'autre côté.
Ce sont là des faits. Et comme le dit Mao Tsé-toung, c'est d'eux
qu'il faut partir, sans restriction ni peur.
Or, cette peur de seulement regarder en face Mai 68, voici qu'elle
s'est retissée et retapie jusque dans les cervelles de beaucoup,
qui se disent marxistes-léninistes.
Voici que l'oubli et la
répression des caractéristiques de Mai 68, opération révisionniste
s'il en fût, gagne et contamine des pans entiers du « mouvement
révolutionnaire » en déconfiture totale depuis son ralliement
honteux à Mitterrand.
Et la forme première de cet oubli, de cette
répression, c'est le refus de prendre audacieusement appui sur
l'anti-syndicalisme ouvrier, c'est la négation abstraite,
dogmatique, réactionnaire, du souffle révolutionnaire que véhicule
l'anti-syndicalisme.
Voici que de soi-disants marxistes-léninistes, au nom des Principes
ou au nom de la Tactique, donnent la main à cette entreprise
proprement bourgeoise : rejeter à nouveau l'anti-syndicalisme
ouvrier dans le champ de l'expérience aveugle, dispersée, non
cumulative, dont la tempête de Mai 68 l'avait fait sortir.
Or, ce qui est en jeu est considérable.
Car l'irruption sur la
scène politique d'ensemble de l'anti-syndicalisme ouvrier, c'est un
pas essentiel vers la réappropriation, par la classe ouvrière, de
son identité propre, de son espace politique révolutionnaire.
C'est
l'embrasement de toute la scène politique au feu de la lutte entre
les deux voies : révolution prolétarienne contre révisionnisme.
Rejeter ce conflit dans l'obscurité des combats d'usine, dans
l'épaisseur insondable de la mémoire ouvrière inorganisée, c'est à
quoi s'emploie avec acharnement la bourgeoisie, dans ses variantes
pro-américaine, pro-soviétique (révisionniste) et syndicaliste-
centriste (C.F.D.T.).
En fait, ce que l'anti-syndicalisme ouvrier fait surgir sur le
devant de la scène en 1968, c'est le spectre de la dictature du
prolétariat.
Et dans l'effort surhumain des Pompidou, des Chaban-Delmas, des
Mitterrand et de Séguy, des Rocard et des Maire pour reconstituer à
tout prix les syndicats comme représentants et garants exclusifs de
la négociation globale, de la présence d'ensemble, il faut voir le
fond de la question : assurer à tout prix, sur la scène politique
d'ensemble la dictature des règles bourgeoises, des idées
bourgeoises. Etouffer jusqu'au soupçon d'une autre voie, d'une
autre dictature.
Nos gauchistes repentis et nos soi-disants « marxistes-léninistes »
vont-ils s'enfoncer dans la complicité restauratrice, après que
l'anti-syndicalisme ouvrier ait fait entendre, sur la scène
politique, les accents inouïs de la nouveauté prolétarienne, et
l'exigence du Parti Communiste de type nouveau, l'exigence de la
dictature du prolétariat ?
Quelle ingratitude! Car tous ces gens n'ont aujourd'hui un petit
droit à la parole que grâce à l'irruption dissonnante de
l'antisyndicalisme ouvrier.
De même que l'existence matérielle des
exploiteurs n'est assurée que par le travail des exploités qu'ils
oppriment, de même nos « révolutionnaires » issus de Mai 68 ne
survivent dans leur petite différence que par l'élan donné par le
prolétariat révolutionnaire à la grande différence : l'anti-
révisionnisme, l'anti-syndicalisme. Et voici qu'ils veulent
enterrer cela même qui les a fait naître !
A ceux qui aujourd'hui ne voient de salut que dans l'entrisme
syndical, et courent ridiculement vanter les charmes de la CFDT à
des ouvriers combatifs qui ont spontanément pour les syndicats un
mépris de fer ; comme à ceux pour qui Mai 68, c'est les étudiants
du 22 mars, la classe ouvrière ne sortant de ses limbes en 1974
qu'à Lip, sous la houlette - syndicale - de Piaget, nous répondons
identiquement : s'il n'y avait eu en 1968, et en 1969, et en 1970,
et en 1973 aussi bien (Renault), cette formidable condensation
pratique de l'anti-syndicalisme accumulé depuis des années dans la
conscience ouvrière, la lutte entre les deux voies au sein du
mouvement de masse ouvrier serait encore, à l'échelle d'ensemble,
indiscernable, inconstituée.
L'existence historique d'une avant-
garde ouvrière révolutionnaire anti-révisionniste serait encore une
hypothèse. Et vous-mêmes, partisans attardés de ce que l'avant-
garde ouvrière met au rancart, vous n'existeriez même pas.
Si dérisoire soit-elle, votre présence dans ce débat politique
s'alimente, fût-ce parasitairement, et à contre-courant de
l'histoire, à cette formidable poussée prolétarienne anti-
syndicaliste lente d'abord, puis furieuse, qui, dans les dernières
décades, entreprend de briser l'hégémonie révisionniste, et
d'ouvrir la voie à la question du Parti Communiste marxiste-
léniniste de type nouveau.
Et nous leur disons aussi : votre propos syndicalisant actuel,
c'est la répétition d'une erreur, répétition soumise à la règle,
énoncée par Marx, d'être la farce après l'histoire sérieuse.
En 1967 et 1968, le marxisme-léninisme vivant, celui qui tente
d'appliquer aux conditions concrètes françaises les enseignements
de la pensée de Mao Tsé-toung et de la Grande Révolution Culturelle
Prolétarienne, est représenté, au niveau de l'organisation
communiste par l'UJCML, au niveau des organisations de masse, par
les Comités Vietnam de Base.
Quelle est, en 1967, la ligne de I'UJCML en matière d'organisation
du prolétariat ? C'est, justement, l'entrisme syndical. Il s'agit
d'organiser la gauche ouvrière en « sydicalistes prolétariens » sur
le mot d'ordre : « Vive la CGT de lutte de classe ! »
Et cette ligne, l'UJCML la pratique avec autrement d'audace, de
force critique et d'implantation réelle dans les usines, que nos
Humanités Rouge à casquette CFDT ou nos pâlichons diffuseurs de
Front Rouge animateurs de la fantômatique « Opposition Syndicale
Révolutionnaire ».
Seulement cette ligne, qui postule que la gauche ouvrière est
syndicaliste, est dès cette époque en contradiction avec
l'antirévisionnisme spontané de cette gauche, lequel a justement
pour forme pratique et idéologique l'anti-syndicalisme.
Mai 68 développe cette contradiction à une échelle telle que
l'UJCML, pourtant seule organisation marxiste-léniniste présente
dans le mouvement de masse, seule organisation capable
d'enthousiasmer la jeunesse intellectuelle révolutionnaire pour le
mot d'ordre maoïste « servir le peuple », ne peut survivre à la
tempête : elle se disloque.
Le prolétariat, agent historique décisif, a donné une leçon à tous
les marxistes-léninistes.
Dès lors s'ouvre obligatoirement dans tout le mouvement
révolutionnaire un débat sur le bilan de cette leçon. Le centre de
gravité immédiat de ce débat, c'est la question du syndicalisme. La
lutte entre les deux voies, entre marxisme-léninisme et
révisionnisme, passe nécessairement par cette question, et ce pour
toute la période ouverte par Mai 68.
Face aux positions opportunistes et néo-révisionnistes qui se font
jour à nouveau sur la question syndicale, l'UCF développe
aujourd'hui, seule, un point de vue à la fois entièrement fidèle au
marxisme-léninisme et à la pensée de Mao Tsé-toung, et conforme à
la réalité historique, objective et subjective, de l'avant-garde
ouvrière.
Articuler correctement la question du Parti sur l'anti-syndicalisme
ouvrier, voilà la pierre de touche, aujourd'hui, de toute fusion
entre le marxisme-léninisme et le mouvement ouvrier en France.
On peut ramener la question à quatre points :
1. « Militer dans les syndicats réactionnaires » : est-ce là un
principe universel du léninisme, ou un choix politique lié à
l'analyse de la situation concrète, et donc susceptible de se
modifier avec cette situation ?
Nous montrerons que l'application créatrice du léninisme consiste
justement, aujourd'hui en France, à refuser tout entrisme syndical.
Que telle est l'usage militant, dialectique, de ce texte
fondamental de Lénine : « La maladie infantile du communisme : le
gauchisme », et en particulier du passage qui concerne les
syndicats.
2. Aujourd'hui en France, militer ou ne pas militer dans les
syndicats révisionnistes et réformistes, est-ce un choix purement
tactique, ou un choix stratégique, un choix de ligne ? Nous
montrerons que la réponse à la question syndicale engage
aujourd'hui nécessairement l'orientation d'ensemble sur
l'édification du Parti. Et que par conséquent, le refus de
l'entrisme syndical constitue une ligne de démarcation stratégique
etnre marxisme-léninisme et opportunisme.
3. Que sont les syndicats (CGT et CFDT) en France aujourd'hui ?
Nous montrerons que leur aspect principal n'est plus d'être des
organisations de masse de la classe ouvrière ; leur aspect
principal, c'est d'être des organisations politiques, intégrées au
projet étatique révisionniste, et dont la virtualité dominante est
le social-fascisme.
4. Notre tâche : édifier des organisations révolutionnaires de
masse, sous la direction de noyaux communistes, et dans le cadre
d'ensemble du mot d'ordre : « Remettre aux mains du prolétariat et
des masses populaires la question d'édification de leur Parti
communiste de type nouveau. »
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